thème : économie
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mercredi 25 mars 2020 à 20h

Débat « Le libéralisme de Macron : état des lieux »

Le mercredi 25 mars, à 20 heures, centre Sorbonne, amphi Oury

Avec Martine Bulard et Danièle Linhart.

Contacts : cafeexdiploparexis1@gmaiexl.com et @CafeDiploenSorbonne

Ce que la réforme des retraites nous dit du libéralisme de Macron

De quoi la réforme des retraites est-elle le nom ? Comment comprendre ce qui se joue, à la fois du bon et du mauvais côté de la barricade ? Que doit-on craindre et qu'est-il permis d'espérer ? Il semble qu'actuellement, tous les camps puissent trouver à se satisfaire. Nous assistons en effet à la fois à un mouvement social d'une ampleur inédite et à l'inflexibilité implacable du gouvernement. Nous voyons des dizaines de professions engagées dans le combat mais sans réelle convergence coordonnée dans un assaut réellement déstabilisant. Nous contemplons la renaissance de syndicats offensifs et déterminés mais s'interdisant d'envisager des moyens d'action plus radicaux.

La résultante de tout cela est une situation de tension maintenue qui, si elle perdure sous cette forme, ne pourra mener qu'à la défaite. La réforme des retraites et la lutte qui s'est engagée contre elle, c'est tout ça à la fois. Comme dit le poète : « ça vous met la joie au cœur, la peine aussi et c'est bon ». La joie par l'ampleur des manifestations et l'émulation collective de la lutte sociale ; la peine par le spectacle d'un pouvoir résolu et implacable qui sait trop quels intérêts il sert pour s'en éloigner. Cette situation sociale complexe, qui voit la consternation côtoyer l'espérance, le dossier intitulé « retraites, la réforme de trop » du diplo de janvier en dresse un bel état des lieux.

Il semble en effet que la marche des évènements s'avance vers la réalisation chimiquement pure de ce que Jean-Paul Jean, parmi d'autres, a pu appeler le « libéralisme autoritaire ». Antinomie d'apparence, que l'époque affirme chaque jour un peu plus comme pléonasme. Car le libéralisme neuf, jeune et fringant, dans les habits duquel Emmanuel Macron s'est présenté aux Français, fait désormais pâle figure. La démocratie renouvelée qui promettait substituer aux vieilles pratiques politiciennes une société civile en phase avec les enjeux actuels s'affirme désormais sans complexe comme la démocratie du Capital.

Faut-il ainsi vraiment s'étonner de ce que monsieur Cirelli, président de BlackRock France, ait été promu à la Légion d'honneur et nommé membre du Comité Action Publique 2022 ? (Lire l'article de Sylvaine Leder p.16). Une autre tâche - et non des moindres - au tableau de ce libéralisme est la tournure policière qu'a prise le régime. Appuyée sur un ensemble de lois d'exception votées dans la hâte des attentats terroristes de ces dernières années, la police dispose désormais d'un ensemble de dispositifs pour contraindre les personnes qu'elle se désigne comme dangereuses sans le contrôle d'aucun juge (lire l'article de Raphaël Kempf p.14). Cette montée en puissance - et en importance - de l'appareil policier semble avoir accentué la violence de pratiques dont l'inévitable visibilité sur les réseaux sociaux a fini par émouvoir jusqu'aux médias traditionnels. Triste paradoxe que celui d'un libéralisme si confondu qu'il brade jusqu'aux libertés individuelles les plus fondamentales.

Ce régime qui se voulait si neuf ne l'est que par sa radicalisation. Il n'est que l'héritier radicalisé de ses prédécesseurs. Rappelons avec Martine Bulard (lire l'article p. 11) que la réforme Macron-Philippe est la huitième dans la même trajectoire. La voie suivie est déjà celle qui était préconisée par Michel Rocard en 1991 et dans laquelle s'était engouffré Édouard Balladur en 1993. Ses mots d'ordre sont clairs : Détruire les régimes spéciaux en prétextant l'universalité pour mieux individualiser les droits de chacun ; obtenir des économies budgétaires en allongeant la durée du travail ; permettre un système à point qui fait varier le montant des retraites en fonction de la conjoncture et ainsi pousser chaque individu à capitaliser auprès de fonds de pension.

Il n'en va pas différemment dans les autres domaines. C'est la même logique qui pousse à réduire peu à peu les remboursements de santé pour pousser les individus à se tourner vers des mutuelles dont le niveau de couverture dépend du portefeuille de chacun. C'est encore elle qui casse les conventions collectives au profit de contrats individuels dans l'entreprise pour n'aboutir in fine qu'à la réduction les obligations patronales. Et c'est à nouveau elle qui rogne les droits des chômeurs pour faire des économies sur leur dos, qui les méprise et les stigmatise, afin qu'ils retournent à n'importe quel prix sur le marché du travail. Partout, dans tous les domaines, les mêmes mécanismes d'individualisation et de marchandisation sont à l'œuvre. Il s'agit de casser les structures collectives pour rendre l'individu nu, seul avec lui-même dans les rapports économiques et sociaux, ne disposant plus que de ses yeux pour pleurer et de sa seule force de travail pour se soumettre.

Cette promesse néolibérale d'individus libérés dans un travail libéré, il faut bien voir tout le mensonge qu'elle recouvre (lire l'article de D. Linhart p. 16-17). À l'heure actuelle, plus d'un salarié sur dix présenterait des risques de burn-out. Le management actuel a substitué à l'abrutissement collectif du taylorisme des pratiques individualisées qui poussent les salariés au surinvestissement personnel. La mise en concurrence des travailleurs les uns avec les autres dans l'unité de production, leur survalorisation avec pour seule fin de leur en demander toujours plus, voilà la réalité actuelle du travail. Cette subordination nouvelle, d'autant plus abjecte qu'elle cherche à s'invisibiliser, travaille en permanence à l'entretien d'un sentiment de précarité dans la tête des travailleurs. Pour que toujours ils craignent de ne pas être à la hauteur, pour que jamais ils ne se reposent. Comment s'étonner d'une réticence aussi générale à l'idée de devoir travailler plus longtemps ?

Partant d'un tel état des lieux, reposons les grandes questions : que faire ? Ou, avant cela, qu'est-il permis d'espérer ? Car si de tout cela il s'agit de sortir, alors il faut envisager d'enrayer l'engrenage. Il faut désormais saisir l'occasion d'une attaque aussi brutale que maladroite pour envisager de passer à l'offensive. Il fait questionner à nouveau frais notre rapport au travail et, partant, la vie sociale dans son entièreté. Pourquoi s'empêcher l'audace de fédérer autour de l'exigence d'un départ général à la retraite à 50 ans (Lire l'article de Bernard Friot et Nicolas Castel p. 12-13) ? Déjà conquis par certains secteurs professionnels, ce seuil d'entrée en retraite pourrait ouvrir la porte à une autre pratique du travail, libérée de l'emploi celle-là. Elle permettrait d'affirmer sans complexe un droit politique au salaire, lié à la personne et non plus au poste qu'elle occupe. Il s'agirait de poser les retraités comme travailleurs et non plus comme improductifs : des travailleurs libérés du marché du travail. Ces retraités disposant à 50 ans de leur salaire comme d'un droit politique pourraient être à l'avant-garde de conquêtes plus ambitieuses encore, qui affecteraient tous les rapports socio-économiques dans le sens du progrès. Ils pourraient être le levier d'un changement radical de nos manières de produire, de consommer, d'organiser la production qualitativement comme quantitativement…

Ce genre « d'utopie concrète » permet de rouvrir le chantier de l'émancipation, pour désamorcer les mécaniques actuelles et repartir à l'offensive. En somme, profiter de cette mobilisation pour cesser de subir ; et commencer à agir.

Lien : https://paris.demosphere.net/rv/78987
Source : http://www.amis.monde-diplomatique.fr/Le-libe…