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jeudi 31 janvier 2019 à 20h15

Projection débat « Mallé en son exil »

Documentaire de Denis Gheerbrant - (VOF)

  • Mercredi 16 janvier à 20h00 : Première en présence du réalisateur Denis Gheerbrant et de Mallé Dioucara, protagoniste du film, suivie d'un débat.
  • Jeudi 17 janvier à 20h00 : Projection suivie d'un débat avec Laurent Roth, critique, scénariste et réalisateur.
  • Vendredi 18 janvier à 20h00 : Projection suivie d'un débat avec Colleyn, anthropologue documentariste, qui travaille sur le Mali.
  • Lundi 21 janvier à 20h00 : Projection suivie d'un débat avec le réalisateur Denis Gheerbrant.
  • Vendredi 25 Janvier à 20h00 : Projection suivie d'un débat avec Denis Gheerbrant, réalisateur du film et Corinne Fortier, anthropologue EHESS, Collège de France.
  • Samedi 26 Janvier à 20h00 : Projection suivie d'un débat avec Denis Gheerbrant, cinéaste réalisateur du film et de Camille Bui, critique aux Cahiers du Cinéma et maître de conférences à Paris I Sorbonne.
  • Mardi 29 Janvier à 20h00 : Projection suivie d'un débat avec Denis Gheerbrant, réalisateur du film.
  • Jeudi 31 Janvier à 20h15 : Projection suivie d'un débat avec Denis Gheerbrant, cinéaste réalisateur du film et Mallé, protagoniste du film

Un homme comme tant d'autres nettoie nos bureaux et sort nos poubelles. Noble Soninke du Mali, il porte en lui une manière de penser le monde. Le cinéaste avance pas à pas en sa compagnie dans son univers.

Entretien avec Denis Gheerbrant

Le film s'ouvre sur un carton disant : " Mallé Doucara filmé par Denis Gheerbrant ". Peut-on y voir une définition du projet ?

D.G - Un homme filme un autre homme. " Parce que c'était lui, parce que c'était moi ". Lui parce qu'à sa manière unique, travailleur précaire vivant dans un foyer, il est à la fois pétri de la culture de ses ancêtres, et au fait du mode de pensée occidental de par sa curiosité et son éducation dans une école encore très française. Moi, parce que cinéaste qui aime filmer seul, dans le mouvement du quotidien, la parole de l'autre. Lui et moi, parce qu'un jour Mallé m'a dit : " Tu me fais du bien, je te fais du bien ".

Comment s'est déroulé le tournage ?

D.G - Le tournage s'est étalé sur cinq ans, nous nous voyions quasiment chaque semaine. Au départ, je voulais filmer les travailleurs du nettoyage, les soutiers de notre économie, en tant que porteurs d'un monde qui nous reste étranger, invisible. De 2010 à 2011, j'ai assisté aux consultations juridiques d'un syndicat, parfois avec la caméra. Mais toutes les personnes que je rencontrais dans ces consultations refusaient de s'engager au-delà. J'en étais venu à penser que ceux qui étaient invisibles voulaient le rester, tout simplement pour se protéger. J'ai expliqué mon projet à Mallé en deux mots, et quand je l'ai rappelé, contrairement aux autres, il m'a donné rendez-vous et m'a parlé d'une traite durant deux heures. Nous nous sommes revus très souvent, pendant deux mois, sans caméra. Et puis le tournage s'est enclenché tout naturellement : parfois en tête à tête, parfois son travail ou parmi les siens. M'emmener au foyer où il habitait, ce n'était pas rien, car les autres résidents ne comprenaient pas du tout ce qu'il fabriquait avec ce " toubab ". Au fil du temps, le Français qui va voir Mallé dans sa chambre est devenu une silhouette familière. Mallé et moi discutions sans arrêt. Au début, il s'est fait le professeur de l'histoire à la fois factuelle et mythique du Mali. Très vite, nous nous sommes mis à converser comme deux compères. " Ici c'est comme ça, chez nous ça se passe autrement ". Cette conversation a formé le socle de notre relation, le lieu d'une indispensable confiance. C'est l'acte même de filmer qui a imposé un autre registre, celui où s'exposaient nos différences. C'est Mallé qui avançait chaque fois d'un pas quand je le filmais, qui m'apprenait par exemple qu'il avait une famille d'esclaves. C'est la caméra qui a fait surgir les " questions qui fâchent " : l'esclavage, la polygamie, l'excision. Le questionnement rebondissait d'un tournage à l'autre : " Tu m'as parlé de tes esclaves, explique-moi ce que représente l'esclavage au Mali ". De la description d'une société de castes nous sommes passés à la " nécessité d'avoir un supérieur ", et au rapport homme-femme qui nous a mené à la question de l'excision.

Quel parti-pris guide la traduction en voice-over des dialogues soninkés par Mallé lui-même, de préférence au sous-titrage ?

D.G - Mes films proposent avant tout le partage de mon expérience d'une réalité donnée. Je filmais sans comprendre. Mallé m'a tout traduit, une fois fini le tournage proprement dit. Nous revenions à cette occasion sur les points que j'avais envie de creuser, notamment bien sûr la question de l'excision.

Le film s'articule sur un paradoxe fructueux. Certaines déclarations de Mallé bousculent des " valeurs " que nous considérons universelles, alors même que votre cinéma fonctionne sur l'association du spectateur à une relation empathique aux personnes filmées. Quel travail proposez-vous ici aux spectateurs ?

D.G - Pour Mallé, le film était une occasion de mettre en forme son univers intérieur à l'épreuve de l'autre, dans la langue de l'autre. C'est alors que le Mallé qui sort les poubelles se met à incarner la civilisation de ses ancêtres. Un monde se substitue alors à un autre et Mallé nous ouvre à cet univers dont il se dit " exilé ". Dans ce film, j'interroge quelqu'un d'ailleurs qui vit ici, à côté de nous. Il ne s'agit pas de se convaincre mutuellement, car la nature de notre relation repose précisément sur nos différences. La tension que l'on sent monter pour culminer à propos de l'excision désigne le contrat même du film. Mallé me tient des propos auxquels ma place de filmeur m'impose de plus en plus de répondre. En tant que cinéaste - premier spectateur du film - je me dois de prendre en charge les réactions des futurs spectateurs. Je dois installer la distance nécessaire d'avec les affirmations de Mallé. Il m'ébranle à de multiples reprises : je me dois et je lui dois de l'exprimer. J'essaie de faire ce que j'attends d'un film : qu'il change mon regard, qu'il me permette de rendre à l'autre sa complexité de personne et de sujet.

Propos recueillis par Marie-Pierre Duhamel Muller, le 19 octobre 2018

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