dimanche 25 novembre 2018 à 16h
Théâtre « Sur la grand-route »
https://paris.demosphere.net/rv/65546
La troupe de théâtre de L'École des actes a le plaisir de vous convier aux représentations de Sur la grand route, d'après la pièce en un acte de Tcheckov.
Du 20 au 25 novembre 2018 à La Commune CDN Aubervilliers.
Mar, mer, jeu à 19h30, ven à 20h30, sam à 18h, dim à 16h
Rencontre le 25 novembre
Tarif: 6€
http://lacommune-aubervilliers.fr/sur-la-gran…
Sur la grand route
Une nuit, au bord d'un chemin, il fait un temps à ne pas laisser un chien dehors : le vent souffle, l'orage gronde, et il fait froid.
Dans un cabaret faisant office d'auberge, sont rassemblés, sans qu'ils se soient choisis : des voyageurs, travailleurs, commerçants, pèlerins, brigands...
Chacun a sa raison d'être sur la grand' route. Tous sont contraints d'attendre.
Dans cette attente subie, se manifestent autant des gestes d'amitié, de fraternité, que des tensions violentes.
« Tchekhov parle de l'attente - une attente qu'on n'a pas souhaité, dans un lieu où il pleut et où on est coincé.
On s'est inspiré de la pièce de Tchekhov pour dire que c'est un peu pareil pour nous, avec la demande d'asile, avec l'absence d'accueil qui fait que l'OFPRA et les préfectures fabriquent seulement de l'attente et de la torture morale, pour des gens qui ont de vraies raisons d'être partis de chez eux, d'avoir pris la grand' route !
On a fait une fusion des deux histoires pour donner à entendre ce qui nous arrive, ce qu'on traverse et ce qu'on en pense, nous, à l'École des Actes. »
Moussa Doukoure
Rencontre
A l'issue de la représentation du dimanche 25 novembre, une rencontre sera organisée avec d'autres artistes, tâchant d'instruire les questions liée à la migration à travers la pratique artistique, seront présents le NIMIS groupe, dont le travail avait été inspiré par la recherche de Claire Rodier et le Good Chance theater.
Quelques mots d'un compagnon du projet :
Ce spectacle me tiens tout particulièrement à cœur.
Je lance cette invitation pour deux raisons : pour les gens qui ne connaissent pas cette pièce et pour les amis qui jouent dans cette pièce.
Vous le savez, il y a peu de projets de théâtre portés par des gens qui me sont a priori étrangers, portés par des gens qui n'ont ni les papiers et donc pas la possibilité légale d'avoir un travail, ni une formation, ni souvent un toit stable.
Dans ce théâtre, des gens essayent envers et malgré tout, avec leur lot de réussites et de rendez-vous manqués, de construire un nouveau rapport au théâtre et à des formes d'assemblées politiques. Ce, à travers quelques pièces d'actualités centrées sur les préoccupations des habitants - tant anciens que nouveaux arrivants -, à travers des tentatives d'enquêtes auprès des habitants pour comprendre ce que les gens attendent de bon d'un lieu déserté - à raison - par les quartiers populaires, à travers la création de l'école des actes1 dont le nœud politique est l'hospitalité, la gratuité, la configuration singulière d'assemblées rassemblant plusieurs langues, patiemment traduites, pour permettre aux gens de se compter eux-mêmes dans la discussion comme dans les prises de décision et faire sauter petit à petit les barrières tant linguistiques que les préjugés que chacun porte pour celui ou celle qui lui paraît étranger.
Après deux ans de fonctionnement et d'élaboration d'une école, projet nouveau pour tou(te)s les participant(e)s, entièrement indépendant de l'idée d'école nationale portée par les gouvernements iniques qui se sont succédés, une troupe de théâtre s'est constituée tant bien que mal avec un sacré paquet de désir pour ce projet et pas mal de soucis dans la vie de chacun(e).
J'ai l'impression que ces deux choses les lient, un pied dans le monde nouveau qu'ils voudraient voir poindre, un pied dans le monde fascisant qui broie sans discontinuer la confiance entre les gens et qui a depuis longtemps vidé de tout sens l'idée d'égalité, de fraternité et d'humanité qu'ils tentent de restaurer par cet acte théâtral d'un nouveau genre.
Ici, ce ne sont pas des migrants, des réfugiés qui jouent, ce sont des gens qui se lancent dans le monde - trop rarement bouleversant - du théâtre, neuf acteurs et une actrice qui viennent de Côte d'Ivoire, du Sénégal, du Mali, du Bangladesh, du Tchad… La moindre des choses pour rendre justice aux amis et aux gens c'est de ne pas leur donner le nom réducteur et violent qu'à choisi l'État et les médias à leur place. Comme disait un ami Malien, on est pas des oiseaux, on ne fait pas l'aller-retour au-dessus de la Méditerranée.
Je laisse ici deux aventuriers soudanais - qui ne sont ni dans l'école, ni dans le projet théâtral - répondre sur ce principe - Extrait de la marmotte déroutée n°122:
« M : En Afrique francophone, on désigne souvent par « aventurier » celui qui est parti ou est en route pour l'Europe. En France, depuis quelques années, le terme « migrant » a remplacé celui d'« immigré », d'« exilé », voire de « réfugié »... Comment utilisez-vous ces mots ? En fait, comment dit-on « migrant » en arabe ?
Gandhi : Muhajir. Nous n'utilisons jamais ce mot pour nous appeler entre nous. Nous l'utilisons quand il y en a le besoin, pour tenter de nous protéger lors des contrôles de police, par exemple, ou pour essayer de faire reconnaître nos droits en Europe. Entre nous, nous nous appelons par nos prénoms !
Yasser : Quand on arrive en France, par exemple à La Chapelle ou à Calais, nous avons d'autres mots qui apparaissent : saroukh (celui qui est arrivé récemment, la « fusée »), makana (celui qui connaît le système, la « machine »). Le makana est depuis longtemps dans un pays d'Europe ou y est devenu makana en obtenant ses papiers.
Gandhi : Fajjara (« qui a explosé ») est une métaphore utilisée pour celui qui est passé. Le fajjara a « explosé », il a réussi quelque chose de fort pour lui-même en réussissant à traverser une frontière à l'intérieur de l'Europe, le plus souvent celle de la Grande-Bretagne. Celui qui arrive en bateau de la Libye à l'Italie n'est pas un fajjara, on dit juste à son sujet « bonne arrivée ! ». Ce qui veut dire qu'il est rescapé après une traversée difficile et qu'une nouvelle vie s'ouvre à lui. Quand on rencontre quelqu'un qui vient d'arriver on se doit de lui dire quelque chose pour le soutenir. »
Voilà quelques mots qui raisonnent avec le travail d'amitié qui est proposé dans cette pièce, guidée par l'honnêteté et la persévérance de la metteur en scène Émilie Hériteau, de Camille Duquesne et le grand travail des acteurs qui doivent conjuguer chaque journée de répétition avec les galères de leurs quotidiens : Abd Djibril Djibril Adam, Moussa Doukoure, Halimatou Drame, Maxime Fofana, Ismael Keita, Abdou Sylla, Mohamed Gaye, Karamoko Yacouba, Muhammad Muzammal Hossain Soheb :
« Une grande idée qui a surgi, c'est que ce dont on a tous besoin aujourd'hui, c'est d'un DROIT DU SOL OÙ L'ON VIT, C'EST-À-DIRE D'UN PEU D'HUMANITÉ DANS LE COIN DE LA TERRE OÙ TU ES.
Ce droit-du-sol-où-tu-vis, cela veut dire : LA OÙ TU ES, ON DOIT TE TRAITER AVEC HUMANITÉ. On doit pouvoir vivre normalement là où on est. Ce droit qui manque, pour nous c'est un mot d'égalité.
Ce sont des choses qui n'existent pas encore dont tous nous avons absolument besoin :
- un droit d'être là
- un droit de fraternité, parce que la fraternité est cimentée par les humains et la fraternité ça parle sur la France, sur ce qu'elle a pu être de grand et de bon
- un droit que la population te connaisse : connaître quelqu'un, c'est pouvoir connaître ce qu'il a de bon en lui. Celui qui arrive quelque part doit pouvoir déclarer qu'il est là, quelle est son histoire et son projet. On doit pouvoir déclarer qu'on est là autrement que par la demande d'asile, autrement que par les préfectures…
- Un droit de se déplacer librement, parce que le monde n'appartient à personne et parce que les marchandises viennent par les grands bateaux, tandis que les humains sans liberté de circuler traversent l'eau sur des zodiacs au péril de leur vie.
- Un droit à l'autorisation de s'abriter par tous les moyens (en construisant sa cabane, en occupant une maison inhabitée) quand aucun autre logement n'est disponible
- Un droit de se soigner
- Un droit à l'autorisation de travailler, car personne n'aime vivre avec l'aide, c'est le travail qui est la base de toute vie. »3
Au plaisir de voir du beau monde à ces représentations !
PS : pour celles et ceux qui ont pas trop de sous sachez qu'il y a des tarifs réduits à 6€ et qu'ils sont pas du genre à demander une liste de justificatif… et ceux qui ont pas d'argent du tout il y a aussi moyen de s'arranger…
PPS : Si la pièce marche d'enfer faudra penser à réserver, c'est en ''petite salle''.
R.C.
PPPS : Pour celles et ceux qui ont encore le courage ou la curiosité d'aller plus loin, je vous joints le questionnaire qui est adressé à tou(te)s les artistes associé(e)s au théâtre :
Chœur de La Commune : Amidou Berte, Abd Djibril Djibril Adam, Moussa Doukoure, Halimatou Drame, Maxime Fofana, Ismael Keita, Abdou Sylla, Mohamed Gaye, Karamoko Yacouba, Muhammad Muzammal Hossain Soheb.
I°)
Est-ce que tu fais du théâtre ?
- Oui. La comédie était dans mon corps déjà
- Bah oui, on fait du théâtre, non ?
- Oui, ça me plaît beaucoup. Mais on est nouveau dedans.
- Je ne suis pas un acteur professionnel du théâtre, mais on essaie de faire du théâtre.
- On apprend.
- Oui, je fais le théâtre. Je suis féru de théâtre.
II°)
Que veux-tu de lui ?
- Qu'il nous change, que ça nous transforme. Quand je fais et quand je vois du théâtre, je ne veux pas rester la même comme avant. Ça nous aide à avancer, à réfléchir, ça nous donne du courage pour la vie. Le théâtre me donne envie de voir à l'intérieur, c'est quoi dedans, je veux continuer à voir ce que c'est. Pour moi, les gestes, le texte, la manière dont tu fais attention, dont tu écoutes. L'écoute, c'est ça qui est important pour moi.
- Le théâtre, ça doit faire réfléchir.
- Je suis venu ici, ça m'a donné courage. Comme à l'École, le théâtre, ça doit faire sortir les nouvelles idées, les nouvelles paroles, ça te pousse à voir clair dans la vie, à marcher. Ça augmente notre mémoire.
- Ce que je veux du théâtre, je découvre quelque chose que je ne connaissais pas, des choses qui n'ont rien à voir avec ma vie, qu'il me donne d'autres idées…
- Je veux qu'il me donne la passion. Découvrir les cultures. Chaque langue a sa culture. Je veux que le théâtre m'aide à bien comprendre cette langue.
- C'est impressionnant de se mettre dans la peau de quelqu'un d'autre qui n'est pas moi. Je veux essayer de rentrer dans une profondeur, détecter toutes les petites choses que je peux ressentir, comprendre comment le personnage vit ça réellement.
- Je veux que ça me raconte des histoires que je ne connais pas.
Qu'est-ce que tu ne veux plus de lui ?
- Je n'ai pas encore vu beaucoup de pièces. Celles que j'ai vues, ça m'a intéressé.
- Je ne veux pas dire c'est bien, c'est mal. Le théâtre peut me dégoûter, me déplaire, des fois il y a des acteurs qui ne jouent pas leur rôle comme tu veux. Il y a des sujets sensibles.
- Je n'aime pas les surtitres au théâtre. Ça passe trop vite. Après, je suis perdu.
III°)
« On traverse un tunnel - l'époque. » disait Mallarmé.
Qu'est-ce qui bouche le désir ?
- Pourquoi le monde est bouché aujourd'hui ? On est dans l'obscurité, parce qu'on ne prend pas les gens au sérieux et les dirigeants signent des lois qui n'arrangent pas les gens. Les dirigeants bouchent pour que les gens ne puissent pas avancer. Ils pensent à eux-mêmes, à leurs intérêts, ils ne pensent pas aux autres. C'est l'intérêt de quelques-uns, l'intérêt des puissants, des riches.
- L'asile, c'est un vrai tunnel aujourd'hui. Nous, on est dans le tunnel actuellement.
- L'État bloque les désirs des gens. Ils te font croire que ce sont eux qui décident à ta place.
- Les lois ont tout bloqué. Les lois aujourd'hui bloquent tout le monde, français comme étrangers.
- On ne voit pas les rayons. Il fait noir là-dedans. C'est le manque de foi.
- La société ne va pas bien, parce qu'il n'y a plus de partage commun. Chacun pense à lui. Il n'y a pas de pensée collective. Au bout d'un moment, on se trouve dans une société où chacun avance seul dans l'obscurité. C'est catastrophique le monde d'aujourd'hui. Il n'y a plus le désir, ni l'amour d'un projet collectif. Aujourd'hui, il y a des mondes différents, on a oublié qu'il n'y a qu'un monde.
- Ce qui bouche le tunnel, c'est que certains tamponnent les idées des autres, comme si elles n'existaient pas. Les idées de chacun doivent être respectées et travaillées.
Comment tu le débouches ?
- En cherchant de nouvelles idées.
- Il faut trouver des solutions par la discussion entre nous tous. Aujourd'hui, on manque d'idées. Les idées, elles naissent par la discussion. Il n'y a pas une personne qui change le monde.
- Pour le déboucher, il faut être ensemble pour se donner une direction.
- Plus c'est collectif, plus on se donne de la force.
- Pour moi, ce qui le débouche, c'est la prière.
- Prendre confiance en soi et dans les autres. Accepter les autres tels qu'ils sont. Sans la confiance, on ne peut pas désirer, ni s'investir dans quelque chose.
- Même quand tu penses que c'est pas possible, penser que c'est possible et alors ça peut l'être.
- Il faut de la patience aussi, pour ne pas perdre ses désirs.
VI°)
L'Amour ? La beauté ? Tu les cherches encore ?
(rires)
- Je veux quelqu'un qui marche avec moi, qui ne cherche pas son intérêt.
- Le monde aujourd'hui, il n'y a pas beaucoup d'amour. Ça diminue. On est dans le XXIe siècle, chacun est de son côté. Il n'y a pas de vrai amour.
- L'Amour d'aujourd'hui est trop intéressé. Il y a trop de séparation entre les gens, trop de gens sont mis à l'écart. Il faut une vraie idée de l'Amour, s'entendre, se mettre ensemble.
- Bah oui, c'est très important. L'Amour, c'est le bonheur. Sans Amour, on ne peut pas vivre. Il faut chercher ça. La beauté, ce n'est pas nécessaire.
- Beauté, c'est quoi même ?
- Pour moi, la beauté et l'amour c'est pareil, non ? Quand je vais voir une pièce et que je dis, c'est magnifique, c'est que les gens ont mis de l'amour dans leur travail, la façon dont ils ont pris la pièce ensemble, ils nous montrent la beauté.
- Chercher comment ?
- Oui, je les cherche dans le monde.
- Le monde même a été construit sur l'Amour. Quand on va au théâtre ou quand on joue au théâtre, c'est pour avoir des sensations, pour se donner du plaisir et donner du plaisir aux autres. C'est un lien d'amour.
- L'amour ne te tombe pas dessus, c'est un cheminement. L'Amour vient au fur et à mesure, il s'installe.
- La beauté, l'idée de la beauté, c'est chercher une société où on essaie de poser l'équilibre. Je cherche l'équilibre dans ma vie, dans cette société. Pour l'instant, il n'y a pas d'équilibre.
- Oui, le monde équilibré, c'est ça que nous tous, on cherche.
Un endroit du monde où tu les accroches ?
- Laisse-moi réfléchir… On accroche ça où…
- Je l'accroche dans le monde, partout où je passe, dans toutes les rencontres, je l'accroche là-bas.
- Je cherche ça dans les amis.
- Je les cherche dans le cœur, c'est le désir qui vit en soi-même. Ça s'enracine en soi pour prendre une vraie forme. L'amour, il vient quand on secôtoie, quand on se connaît.
- Suspendus… Je les repère dans la prière. Le respect, l'amour, il faut pardonner, avoir l'amour de son prochain, c'est ce qu'on m'a enseigné et avec lequel j'essaie de cheminer.
- Je les accroche dans la nature.
- On l'accroche nulle part, on est né avec, on vit avec cette sensation que la beauté et l'amour existent, il suffit de ressentir. C'est pas un objet, on le sent. Le monde est à sa place. Et la beauté et l'amour font partie du monde. Le monde ne bouge pas, ce sont les créatures qui changent.4
1https://www.facebook.com/ecoledesactes/?ref=b… - et sur le site du théâtre de la Commune.
2Très bon journal des habitants de la vallée de la roya, La marmotte déroutée, « Entretien avec trois ''aventuriers'' », p.9, n°12, décembre 2017.
http://www.la-marmotte-deroutee.fr/2017/12/de…
3Extrait d'une déclaration polyphonique prononcée à l'école des actes / Sur la grand' route
4http://lacommune-aubervilliers.fr/questions-a…
Lien : https://paris.demosphere.net/rv/65546
Source : http://lacommune-aubervilliers.fr/sur-la-gran…
Source : message reçu le 14 novembre 15h