jeudi 20 septembre 2018 à 19h30
Présentation d'Hors-jeu
collectif non-mixte de femmes à variables affinitaires et géographiques
https://paris.demosphere.net/rv/63772
Rencontre avec le collectif Hors-je(u) pour présenter leur 2ème numéro, sur les femmes et leurs rapports au travail
Hors-je(u) est un collectif non-mixte de femmes à variables affinitaires et géographiques. Il a pour point d'ancrage le féminisme matérialiste. La création de la revue est née de la nécessité d'ouvrir un espace de paroles et de les visibiliser. Il se situe dans le prolongement de nombreuses expériences en non-mixité choisie : partage d'expériences, échange de savoirs, auto-examen gynécologique, émissions de radio féministes, groupe de lecture théorique. La revue regroupe des récits, des témoignages, des interviews et des illustrations collectés au fur et à mesure des collaborations.
Le premier numéro est sorti en septembre 2016.
Nous présentons actuellement le 2ème numéro qui a pour principale thématique les femmes et leurs rapports au travail.
Le 1er numéro est téléchargeable sur infokiosques.net et disponible à la librairie.
Édito du n°1
Nous sentons bien que si « jeu » il y a, trop souvent « je » n'y ai pas ma place, si ce n'est sur le banc de touche. La plupart du temps, nous sommes les spectatrices d'un match auquel nous ne pouvons pas participer, et quand nous le faisons, nous risquons d'être utilisées comme ballon. Cantonnées à des places d'observatrices passives par nos patrons, nos mecs ou nos darons, nous apprenons rapidement à ne pas nous faire remarquer, à disparaître, jusqu'à en nourrir de la frustration ou de la rage. Le quotidien pèse lourd, nous façonne profondément, et quand nous parvenons à nous en extraire, cela nous fait l'effet d'instants rares et volés. Il nous est donc apparu nécessaire de constituer notre propre équipe, de délimiter ou d'inventer nos propres terrains de jeu.
De nous rencontrer à plusieurs « je » dans l'intention de dessiner un « nous ». De nous mettre hors-jeu sans attendre que l'arbitre nous siffle et nous donne un carton rouge. Quand on sort de nos histoires individuelles, quand on les confronte à d'autres, on se rend compte que les merdes dans lesquelles nous sommes engluées ressemblent trop à celles de nos copines, frangines, collègues et mères pour être dues au hasard. En nous parlant, nous avons vite compris que nous ne sommes pas seules à avoir vécu des rapports sexuels non consentis, à être assignées au soin et au bien-être des autres, à abandonner trop facilement une conversation entre amies si un homme nous interrompt, à manquer cruellement de confiance en soi ou à avoir été agressée. Pour nous, être une femme signifie être coincée dans des rôles prescrits.
Être une femme n'a rien à voir avec le fait d'avoir des seins, un utérus, ou des ovaires, c'est être assignée à une certaine place dans le système d'oppression qu'est le patriarcat. Être une femme n'est pas uniquement un destin biologique. Les femmes, et celles et ceux qui sont désigné.es comme telles, forment une classe sociale : la classe sociale des opprimé.es du genre. Le genre étant le rôle sexué que la société nous attribue. Dès l'instant où nous comprenons cela, nous devons nous poser certaines questions : quelles sont précisément les injonctions genrées qui nous sont faites, comment régissent-elles nos vies, comment les perpétuons-nous, et enfin comment nous situer par rapport à ces rôles qu'on nous oblige à jouer ? Selon nous, s'extraire de sa classe de genre, sortir de sa condition doit se faire en évitant à tout prix de servir d'alibi pour maintenir un système qui hiérarchise sexes, races et classes.
Nous ne nous réjouissons jamais de voir des femmes en écraser d'autres, s'émanciper seule est un leurre. Nous prêtons le même pouvoir de nuisance qu'à leurs homologues masculins aux patronnes qui exploitent des prolétaires, aux femmes de pouvoir qui édictent les lois, aux juges et procureuses qui défendent le régime de la propriété privée, aux matonnes qui refusent des serviettes hygiéniques à des prisonnières au mitard, aux assistantes sociales qui inspectent des domiciles et pratiquent la délation quotidienne en rendant des rapports. Ces femmes partagent des aspirations au pouvoir et ont les moyens de son exercice réel. La société toute entière s'emploie à nous faire croire que la voie institutionnelle est l'unique moyen de s'en sortir.
Rien ne nous paraît plus dangereux que de devoir affronter seule un fait social. Celles qui tentent de porter plainte pour viol dans un commissariat, celles qui demandent un divorce pour violences conjugales, celles qui veulent obtenir la garde de leur enfant le savent. L'Académie des femmes de Diyanbakir, au Kurdistan de Turquie, « critique[nt] notamment la façon dont les féministes en Occident ont largement renoncé à s'affranchir du capitalisme et des institutions d'État, au point de concevoir leurs luttes avant tout en terme de "droits" individuels garantis par l'État [1] ». Nous ne nous reconnaissons pas dans un féminisme compatible avec l'État, un féminisme capable de s'épanouir dans une société fondée sur des divisions de classe et de race, dans ce monde de prisons, d'hôpitaux psychiatriques, de centres de rétention, d'usines et de centrales nucléaires.
Nous choisissons de créer des moments de non-mixité, de construire de la sororité concrète et matérielle car toutes nous avons besoin de pouvoir réfléchir, danser, parler de nos sexualités, faire du sport, écrire sans être sous le regard des hommes, survivre matériellement, nous défendre, ou autant que possible, vivre, sans devoir recourir aux administrations. Il faut de toute urgence créer des groupes non-mixtes car plus l'expérience du commun est vécue, concrète, quotidienne, plus la solidarité devient réelle. Et gardons à l'esprit que nous n'avons aucun compte à rendre à celles et ceux qui ne regardent pas l'émancipation des opprimé.es comme un mouvement aussi joli que nécessaire. Nous dessinons un féminisme en creux, en essayant par tous les moyens de nous dépêtrer du jeu social comme on secouerait un bout de scotch collé à son doigt. Nous sommes certaines que nous ne serons jamais arrivées, que l'émancipation est un chemin, éternellement raturé, perpétuel brouillon de prochaines tentatives. Notre féminisme est une forme de conscience sociale, exactement comme la conscience de classe. Hors-je(u) est le fruit de la rencontre de plusieurs copines.
Et ce fanzine est en train de nous constituer en tant que groupe car nous devons créer des moyens matériels, trouver des lieux et du temps pour nous réunir, écrire et vivre ensemble. Nous constatons jour après jour qu'avoir du temps c'est du luxe, que faire un fanzine nécessite toute une organisation. Tout cela nous transforme et transforme nos rapports aux autres. Notre féminisme est forcément existentiel au sens où il s'insinue dans tous les pans de nos vies, et leur donne des formes nouvelles. Nous le savions déjà, mais en voyant apparaître une mosaïque de vies réelles dans les textes rassemblés ici, nous sentons combien nos vies et nos corps de femmes n'ont rien à voir avec la vie et le corps de « la femme », celle qui n'existe que dans le regard des hommes. En 2016, nos corps, nos modes de vie estampillés libres - parce que français - sont instrumentalisés à des fins de propagande républicaine et guerrière.
Nous ne nous reconnaissons pas dans l'image de la femme française émancipée, véhiculée par le pouvoir et les médias, une femme qui serait à la fois le flambeau et le repos du guerrier. Nous voulons construire un féminisme qui se situe hors du jeu impérialiste, nous refusons d'être les alibis d'un monde qui s'est construit sans nous. Parce que nous sommes féministes, nous sommes contre la guerre. C'est à l'automne 2016 que nous parlons de la guerre et des attentats de 2015, car nous serons toujours en retard sur l'actualité médiatique. Notre rapport à l'urgence dépend de nos conditions matérielles qui, si elles nous laissent de l'espace pour penser, ne nous permettent pas d'y réagir immédiatement. Mais nous prenons aussi notre temps car nous croyons que la guerre n'a pas d'actualité, et que réfléchir et respirer avant de s'exprimer sont la moindre des choses face à l'immonde tourbillon de la vie médiatique. L'actualité ne veut rien dire. Sans recul, il n'existe que de multiples actualités qui s'entrechoquent et se contredisent. Hors-je(u) est essentiellement constitué de témoignages et d'interviews.
Nous n'en sommes pas étonnées, le prisme dans lequel on a habitué les femmes à percevoir le monde est bien leur univers sensible. Nous n'avons pas les moyens de l'universalité, et c'est tant mieux, car c'est l'arme idéologique de tous les colons, historiquement. Contre les dominants qui discréditent les formes de discours subjectifs, nous trouvons important de leur donner une place de choix. Nos parcours singuliers ne sont pas des histoires de bonnes femmes mais bien la tentative de cartographier un système. Alors, bien sûr, notre territoire a ses limites et ce que contient ce fanzine nous ressemble. En terme de plus petit dénominateur commun, nous sommes plutôt trentenaires, plutôt blanches, plutôt célibataires et sans enfant, plus ou moins hétérosexuelles. Donc si tu ne te reconnais pas dans ce que tu vas lire, c'est la meilleure raison de délimiter ton terrain de jeu, de choisir tes complices et d'inventer ensemble vos propres règles.
Qui sait, on se rencontrera peut-être sur les prochains gros matchs ou aux tournois de quartiers, pour boire des coups sur les gradins et pour pourrir l'arbitre. Car, pour construire un monde commun, nous avons besoin, comme le dit Adrienne Rich, de « nous demander comment nous pouvons rendre les conditions du travail plus fructueuses, non seulement pour nous-mêmes, mais l'une pour l'autre. Ce n'est pas une question de générosité. Ce n'est pas la générosité qui fait que les femmes en communauté se soutiennent et se nourrissent mutuellement. C'est plutôt ce que Whitman a appelé "le besoin de la compagnie de mes égaux" (égales), le désir d'un contexte dans lequel nos propres efforts seront amplifiés, vivifiés, rendus plus lucides, par ce
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