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samedi 16 janvier 2016 à 16h

« Bretagne et cinéma #5 »

Projection débat « Traitement de choc »

Film d'Alain Jessua avec Alain Delon et Annie Girardot - 1973/couleur/1h31

Séance animée par Tangui Perron, chargé du Patrimoine à Périphérie, et précédée d'un court métrage surprise de René Vautier.

Tarif unique : 4,50 euros.

Hélène Masson soigne une déception sentimentale dans un institut de thalassothérapie appartenant au docteur Devillers. Elle s'aperçoit peu à peu que le personnel de service de l'institut a un comportement bizarre et le docteur Devillers mène de bien étranges expériences...

Tarif : 7 euros (plein) - 6 euros (réduit)

Synopsis : Entièrement tourné à Belle-Ile, Traitement de choc présente de nombreux et divers intérêts :

cette pertinente métaphore politique (un peu kitch) ose le gore social et l'on y voit Alain Delon, complètement nu, se baigner sur la plus belle plage de l'île.

L'Ile du docteur Delon par Jean-Louis Bory

29 Janvier 1973.

Une île. Sur cette île, une clinique-laboratoire. Dans cette clinique-labo, un docteur, du genre génial, se livre à des opérations aussi mystérieuses que lui-même. Chœur des spectateurs-cultivés-et-fiers-de-le-montrer : « Mais c'est « l'Ile du docteur Moreau », de l'honorable H.G. Wells ! » Vous n'y êtes pas. C'est l'île du docteur Delon. Une île Bretonne, d'une photogénie incontestable (Belle-Ile). Le docteur en question y pratique la thalassothérapie. Au massage par bulles et au bain d'algues, il ajoute seulement un traitement par cellules fraîches sur la recette duquel, comme tout fine cuisinière, il garde le secret avec la dernière des énergies, c'est bien son droit.

Comme dans Wells, les monstres résultants de la cure sont à : P.-D.G. de tout poil, avocats, magistrats, banquiers et leurs épouses ou assimilées ; nous sommes entre gens « bien ». L'assez répugnant petit monde doré des privilégiés de notre société. Leur fric leur permet de suivre la très dispendieuse cure du docteur Delon, qui leur réserve santé, jeunesse, bonheur - bref, l'euphorie des prospères. A noter, dans le catalogue des euphories du docteur Delon, la baignade en mer et à poil - ce qui nous vaut une très engageante séquence touristique pour club de vacances un peu leste : Annie Girardot et Alain Delon ne nous dissimulent plus rien de leur talent. Il faut reconnaître que, pour l'une comme pour l'autre, il est très agréable à considérer. Bien.

La parabole n'est pas loin. On y barbote très vite, comme le bain d'algues. L'île du docteur Delon est un « microcosme signifiant ». La classe des privilégiés-par-le-fric jouit de tous les conforts, de tous les bonheurs - à la seule condition de respecter la double règle du jeu : avoir de l'argent ; ne pas trahir sa classe. Pas de pitié pour le canard boîteux qui commet l'impardonnable faute de goût de se retrouver sans un rond. Haro sur celui ou celle qui cherche à savoir comment fonctionnent clinique et traitement : il ou elle connaîtra le châtiment de la huitième femme de Barbe-Bleue pénétrant dans la chambre interdite.

Au service de la classe privilégiée, un sous-monde de larbins corvéables à merci et saignables à blanc. Ils participent de ce prolétariat immigré dont l'Europe détourne, à son profit, l'énergie. Ici, des Portugais. Le rythme sur lequel on procède au renouvellement des jeunes mâles importés pétant de santé met vite la puce à l'oreille. Il ne s'agit plus de main-d'œuvre mais de ravitaillement. Soyons exact : d'approvisionnement en globules rouges et en hormones. Le docteur Delon et son équipe organisent, aménagent la cuisine qui assure le maximum d'efficacité à l'exploitation de ceux-ci au mieux des intérêts de ceux-là. Ce sont nos techniciens de la rentabilité, de l'expansion, Jessua vous laisse le choix du vocabulaire.

La parabole est devenue limpide : l'utilisation, quasi criminelle que nous faisons de la main-d'œuvre étrangère, ce néo-esclavagisme, et l'égoïsme inconscient ou hypocrite avec lequel nous nous aveuglons là-dessus comme sur tant d'autres choses, Jessua les cloue au pilori avec une jolie vigueur, et j'applaudis à cette astuce qui consiste à truffer une fiction policière à résonnances hitchcockiennes d'une protestation d'ordre politique et social. Le film de Jessua ma paraît une parfaite illustration du slogan de Pangloss : tout est vraiment pour le mieux dans le meilleur des possibles qu'est l'île du docteur Delon - sauf pour les Portugais. La fameuse lettre de Louis Pauwells « aux gens heureux et qui ont bien raison de l'être » s'adresse, et on l'aura compris, aux clients du docteur Delon.

Pour le film, tout eût été pour le mieux en effet si Jessua, à l'instar de la trop curieuse cliente Annie Girardot, n'avait péché par indiscrétion. Péché entraîné par un autre péché beaucoup moins véniel : le manque de confiance dans le public. Trouille bleue qu' « Ils » ne comprennent pas. D'où besoin de ramener sa fraise explicative, de mettre les pieds dans le bain d'algues et de les y remuer. Dommage. Dès le premier quart du film, on a deviné que le Portugais frais n'est pas seulement là pour passer les orangeades.

Quand on en voit un tant soir peu pâlichon, on se dit : « Tiens, on lui a pompé sa pinte. » De bon sang. Et, sitôt l'embarquement des panières pour le large, on se doute bien qu'on assiste à l'évacuation des déchets (les homards sont exquis). Il eût fallu se contenter du soupçon. Malgré le vent des quatre horizons, le grand air du large fût devenu peu à peu respirable. En compagnie des clients nantis s'endraculant leurs Portugais, nous nous serions englués, petit à petit, dans une valse douillette. Patatras !

A la litote feutrée, Jessua a préféré l'hyperbole sanguinolente. C'est soudain le Grand-Guignol. Indocile compagne de Barbe-Bleue thalassothérapeute, la malheureuse Girardot, à force de fouiner, finie par tomber, c'était couru, sur du Manuel suspendu comme à la Villette. Jusque-là, regards rapides, demi-sourires, pincements de lèvres : elle avait été parfaite. Elle ne se tient plus. La découverte du Portugais draculisé la fait piailler comme si c'était pure souris. On s'attend qu'elle grimpe sur une chaise. Elle ne cesse de piailler que pour trottiner, de trottiner que pour piailler, quand elle ne trottine par en piaillant. Le film n'est plus que bousculade de bocaux dégobillant la substance lusitanienne. Enfin, Girardot se rue sur Delon, qu'elle étripaille à son tour… J'ai même cru voir (mais j'ai dû prendre mes craintes pour la réalité) qu'elle scalpélisait un sexe dont nous n'ignorions plus rien.

Sur l'écran, l'horreur, l'épouvante sont d'un maniement délicat. Le ridicule n'est jamais loin. D'autant moins loin que le rire se présente comme une réaction de défense. Il faut savoir le désarmer, comme Hitchcock ; ou, subitement, le mettre de son côté, comme Polanski. Je regrette que Jessua, maître de son récit pendant les deux premiers tiers de Traitement de choc, n'ait réussi, me semble-t-il, ni l'opération Hitchcock ni l'opération Polanski.

Source : L'obstacle et la gerbe, Cinéma VI, janvier 1973-décembre 1974, collection 10/18.

Photo de l évènement

Lien : https://paris.demosphere.net/rv/44146
Source : http://www.lecranstdenis.org/evenements/breta...
Source : http://www.peripherie.asso.fr/la-une-actualit...