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samedi 7 septembre 2013 à 17h

Le cerveau n'est pas ce que vous pensez

Amis du monde diplomatique 78

Nous rencontrerons à l'Hôtel de ville de Versailles, salle Clément Ader, samedi 07 septembre 2013, Fabrice Guillaume, maître de conférences en psychologie et neuropsychologie à l'université d'Aix-Marseille, pour une conférence débat autour de l'ouvrage collectif « Le cerveau n'est pas ce que vous pensez » Ed. PUG.

Dans le « Journal d'un fou » Nicolas Gogol fait dire à Popritchine le héros de ce journal « (…) Et cela vient de ce que les gens s'imaginent que le cerveau humain se trouve dans la tête. Mais pas du tout : il est apporté par le vent qui vient de la mer Caspienne. (…) »

Gogol pressent à son époque que la pensée n'est pas dans le cerveau. Le cerveau ne pense pas (…), écrivent les auteurs de l'ouvrage, seul un individu, ou mieux une personne, pense, et sa pensée ne peut être comprise, décrite et expliquée hors de tout contexte individuel, culturel, historique et social. (P.169)

Pourquoi les neuro-images sont-elles si populaires ?

Le réductionnisme de l'imagerie cérébrale séduit. Comme si les neuro-images transformaient ipso facto l'expérience subjective en phénomènes objectifs, immédiatement perceptibles et compréhensibles par tous. Ainsi il est publié dans les journaux et magazines des articles sur la découverte de la région cérébrale responsable de la résistance à la tentation, ou du comportement criminel, ou de nos choix politiques, ou de l'amour romantique. Les interprétations finissent par être simplistes, et on arrive finalement à la découverte du « centre du plaisir », du « centre de l'art » et du « centre de l'amour ». Les médias relaient des stéréotypes réactualisés comme celui de la différence entre hommes et femmes devenant une simple « différence dans l'organisation et les priorité de leur cerveau » (Daily Mail, 16/01/2008). Ainsi, les femmes, les adolescents, les criminels, les homosexuels, les drogués finissent par avoir une spécificité anatomique et physiologique cérébrale qui expliquerait le « comportement déviant ». Dans ces discours ou articles on laisse croire que la catégorisation des individus serait possible à partir de scanners du cerveau. L'Homme « normal » se définit par ce qu'il n'est pas, à savoir drogué, homosexuel, criminel, etc. Il s'agit finalement d'une véritable entreprise de naturalisation des catégories sociales, à la manière des classifications de la biologie du XIXe siècle. Il faut rester très prudent lorsque nous lisons que des machines peuvent désormais lire dans nos pensées, dans nos préférences politiques ou esthétiques ou encore détecter nos préférences en termes de consommation.

Des études récentes ont montré que la présentation d'une image du cerveau associé à un texte scientifique augmente le degré d'adhésion du lecteur (McCabe et Castel, 2008 ; Weisberg et al, 2008) même si l'argument neuro-imagé n'ajoute rien à la compréhension. Cette sensibilité en la croyance à la neuro-image mérite d'être sérieusement étudiée, en partie parce qu'elle risque d'être exploitée, et cyniquement par les entreprises privées ou les pouvoirs publics. Ce biais neurologique dans l'explication de phénomènes psychologiques ou comportementaux est en partie lié à la simplicité apparente de l'explication, à son réductionnisme. Le déterminisme est clair et unique. L'explication complexe des fonctionnements psychologiques ou comportementaux n'entraîne pas une adhésion spontanée du lecteur. Il faut bien prendre conscience du pouvoir de séduction des images qui, présentées en tant que pseudo-preuves visuelles, finissent par devenir une réalité objective difficile à contester. La neuro-image parlerait d'elle-même et généralement au-delà de ce qu'on peut réellement lui faire dire.

La « Neuro-quelque chose » ou l'inscription cérébrale à outrance. (Quelques exemples)

La neuro-économie ou la conquête du cerveau par le marché. Elle s'intéresse aux facteurs cognitifs et émotionnels dans les prises de décision, qu'il s'agisse d'investissement, de coopération entre agents ou de consommation. Le terme de neurofinance s'applique à l'étude des prises de décision en termes de placements et d'emprunts. L'objectif affiché est de construire une théorie des choix économiques qui permette de rendre compte à la fois des données comportementales, des modèles mathématiques de décision et des corrélats neuronaux de ces choix. En montrant qu'un phénomène complexe est produit par le cerveau, la neuro-économie envisage la prise de décision sous l'angle « mécaniste ». « Il y a une similitude frappante entre le cerveau et une entreprise moderne, le mode de production qui la gouverne devient quasiment une réalité naturelle, inéluctable en quelque sorte. » (D'après Sanfey et ses collaborateurs) Les conclusions des recherches dans ce domaine peuvent alors être idéologiquement biaisées et l'on a parfois la désagréable impression qu'elles visent en fait à naturaliser un système économique dominant. De toute façon le potentiel pour les enjeux traditionnels de l'économie apparaît beaucoup plus modeste que les neuro-économistes voudraient nous le faire croire lorsqu'ils survendent leurs « découvertes ».

Le neuromarketing ou le commerce du cerveau. C'est l'application des connaissances issues de l'imagerie cérébrale aux techniques traditionnelles du marketing. On s'intéresse ici aussi aux processus de décision et de choix, mais également aux émotions véhiculées lorsqu'on goûte un produit, lorsqu'on visionne une publicité ou lorsqu'on prend une décision d'achats. (Ariely et Bern, 2010 ; McClure et al. 2004 ; Roullet et Droulers, 2010.) Le neuromarketing utilise donc les données de neuro-imagerie afin d'optimiser les procédures de vente et l'efficacité des messages publicitaires. « En fait, pour savoir si des opérations de marketing influencent les comportements, le mieux est encore d'observer ces comportements. Montrer de jolies images du cerveau peut impressionner mais est vraiment inutiles ». (Mathias Pessiglione)

La neuro-esthétique c'est l'exploration des corrélats cérébraux de nos jugements en termes d'esthétiques et de design. Certaines de ces études sont en rapport avec le neuromarketing, d'autres concernent plus spécifiquement l'art et l'esthétique en tant que tels. Mais il est vrai qu'il y a aussi un marché de l'art. Semir Zeki de l'University College de Londres explore par exemple ce qui se produit dans notre cerveau lorsque nous observons des œuvres d'art. Il aime raconter que « l'art est gouverné par les lois du cerveau ». Mais les résultats produits par ces études nous apprennent-ils des choses nouvelles sur la relation entre l'art et le cerveau ? Il y a des raisons d'être septique. Car là encore, le rôle du contexte est essentiel. De nombreux facteurs peuvent déterminer l'émotion et les états mentaux générés par une œuvre d'art.

La neuropolitique : l'objectif est de mettre en évidence les déterminants cérébraux de nos opinions politiques. Ainsi le 19/09/2008, le journal Science publie un article intitulé « Les attitudes politiques varient en fonction des caractéristiques physiologiques » (Oxley et al, 2008). Cette recherche présente les corrélats neuronaux des comportements libéraux ou conservateurs des électeurs ! A quand l'évaluation des candidats à l'élection présidentielle à partir de leur matière grise ? (cf. Daniel Amen, psychiatre américain dans Times du 07/01/08)

Il existe beaucoup de neuro-quelque chose que vous retrouverez dans le livre « Le cerveau n'est pas ce que vous pensez » Images et mirages du cerveau. Pour préparer le débat vous pouvez lire aussi « La neuro-imagerie cognitive : nouvel indicateur, nouvelle science…ou nouvelle phrénologie ? » Ed. Solal.

Lien : https://paris.demosphere.net/rv/27566
Source : http://www.amis.monde-diplomatique.fr/article...