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vendredi 13 janvier 2012 à 19h

2 parties : 1 2

Réunion-débat autour des conseils de prud'hommes

Baisse des moyens, taxe de 35 euros sur les recours, les Prud'hommes sont la nouvelle cible des puissants. Peuvent-ils toujours être un outil dans les luttes sociales ? Quel rôle les anarchistes peuvent-ils assumer en la matière ? Tels seront, entre autres, les thèmes de cette rencontre.

Réunion/débat sur les Conseils de Prud'hommes à l'appel de la CGT-Saclay et avec le concours des groupes Pierre-Besnard, Albert-Camus et Louise-Michel, de la Fédération anarchiste .

Entrée libre et gratuite.

(ce rendez-vous était initialement prévu le 25 novembre)

Lien : https://paris.demosphere.net/rv/19602
Source : http://www.monde-libertaire.fr/tous-les-evene...


Voyage en Prud'hommie

Les conseils de prud'hommes connaissent une progression constante d'affaires (environ 208 000 affaires inscrites cette année), sachant que plus de 98 % d'entre elles sont introduites par les salariés. Lieu de justice du travail pour tout litige lié à l'exécution du contrat de travail, nombre de salariés aboutissent là pour obtenir réparation : du paiement de quelques heures supplémentaires au licenciement sans cause réelle et sérieuse. Beaucoup d'entre eux, sans jamais avoir croisé un syndicaliste dans leur vie professionnelle. Entre absence de rapport de force pour faire respecter les droits dans l'entreprise et recours aux prud'hommes pour les faire valoir devant les juges, le lien est évident.

Du fait de la délinquance patronale, l'attente de justice est très forte devant le conseil de prud'hommes. Encore plus forte, pour les salariés les plus intégrés (soumis) au système économique sortant très « abîmés » économiquement et psychologiquement des préjudices occasionnés par leurs employeurs.

Face à la forte sollicitation de cette institution, tout est entrepris depuis des années pour l'asphyxier et mettre le plus de distance entre les salariés et la justice. Mais, il existe aussi des motifs à la mauvaise santé de cette justice, intrinsèques aux conseils de prud'hommes, le paritarisme par exemple, et d'autres relevant, il faut bien le dire, du rôle des militants et de leurs organisations syndicales.

Attaques réactionnaires en règle

Le mandat présidentiel de Chirac a fait naître des milliers de décrets lois pour rendre le code du travail plus complexe et ainsi mieux prétendre « le droit du travail devenu très compliqué ». Après quoi, l'ordonnance de 2007 a fait recodifier le droit du travail à droit constant paraît-il. Mais des articles de lois se sont vus déclassés en décrets et des décrets déclassés en règlements. Précédemment, en 2004, il avait été rendu obligatoire pour les affaires montant en Cour de cassation le ministère d'un avocat pour chacune des parties, remettant en cause la gratuité de la totalité de la procédure. Il est aussi en projet d'imposer un avocat en Cour d'appel.

En mai 2008, sous prétexte d'améliorer la proximité de la justice, Rachida Dati est chargée de revoir la carte judiciaire. En conséquence : suppression de 62 conseils sur les 291 conseils de prud'hommes existants. Une approche numérique et financière du coût de la justice. Il est bien évident que les conseillers prud'hommes issus des tribunaux supprimés et ralliés sur les tribunaux maintenus dans les départements n'ont pas vu ces tribunaux dotés de salles supplémentaires et pas d'avantage de personnel de greffe. Résultat : là où les conseillers sont plus nombreux, ils siègent moins souvent. Et, pour un salarié dans un département touché par la suppression de tribunal, entre un déplacement de 120 à 160 km aller-retour et l'obtention du paiement d'heures supplémentaires, son choix est vite fait : il va éviter de perdre une journée de travail. D'autant plus que la disparition de la gratuité d'accès à la justice depuis le 1er octobre 2011 l'oblige à payer un timbre de 35 euros pour introduire son instance au conseil.

Ensuite, en juin 2008, partant du principe qu'un conseiller prud'homme (salarié) est un voleur, mais aussi partant de constats d'abus locaux bien réels, c'est l'indemnisation du temps d'activité prud'homale qui est revu à la baisse. En conséquence, des possibilités restreintes pour les réunions de section et de conseil ; plafonnement de temps indemnisé pour les rédactions de jugement ; exclusion de prise en charge du temps dédié aux rédactions de renvois et radiations. Une décision dont la rédaction est bâclée est une décision à laquelle on peut faire appel. C'est toujours du délai gagné pour l'employeur. À moins de vouloir bien rédiger et sur son temps personnel, en bon militant qui s'adonne ainsi au travail dissimulé au titre de la justice du travail !

D'une manière générale, la politique de réduction d'effectifs des services publics n'épargne pas le personnel de greffe aggravant le fonctionnement de la justice mais aussi les conditions de travail des greffiers. Le mode de recrutement se trouve aussi revu à la baisse entraînant par ailleurs une dévalorisation de leur activité et statut.

Enfin, pour contribuer un peu plus à l'éloignement des salariés avec leur institution de justice, c'est le suffrage universel des salariés aux élections de leurs conseillers prud'hommes qui va être mis à la casse. Ce seront les délégués du personnel, grands électeurs, qui voteront. Ça tombe bien pour les patrons, avec l'accord sur la représentativité déjà mis en place… Le temps d'achever la réforme, le mandat actuel est prolongé de deux ans !

D'autres offensives sont mises en œuvre pour s'attaquer à l'oralité des débats - « Cessons de perdre du temps ! Supprimons les audiences et demandons au salarié de faire adresser par son avocat ses conclusions au conseil de prud'hommes. Si le salarié n'a pas d'avocat, qu'il s'en paye un ! Il ne peut pas payer ? Tant mieux, il n'y a pas d'affaire » - ou supprimer les bureaux de conciliation en plaçant la conciliation au sein de l'entreprise avec l'intervention de médiateur payant…

Au final, des attaques sur l'espace, le temps et l'économique pour rendre inaccessible aux salariés le recours à la justice du travail.

Syndicalisme soluble dans le paritarisme ?

La réponse est presque contenue dans la question. L'institution de cette justice est basée sur le paritarisme. La formation de magistrats tenant audience et délibéré est composée d'un conseiller salarié et d'un conseiller employeur, ou de deux conseillers salariés et deux conseillers employeurs, selon qu'il s'agit d'un bureau de référé, de conciliation, ou de jugement. Avec une alternance salarié employeur pour les présidences des formations et pour le conseil.

Entre parenthèse, nous rions jaune à constater que le paritarisme a ses limites dans le respect du capitalisme. En effet, l'indemnisation du temps d'activité effectué par les conseillers hors de leurs plages horaires de travail passe du simple au double suivant que le conseillé est salarié (7,10 euros de l'heure) ou employeur (14,20 euros de l'heure). Passons !

Il est patent que certains conseillers salariés, pris dans une ambiance étrangère à l'entreprise, le tribunal, confrontés à des conseillers employeurs dont ils sont légalement les égaux, livrés à un exercice tout nouveau pour eux, perdent leur posture de syndicaliste, oublient la gymnastique de lutte de classes et alors même que les audiences du conseil sont des exposés vivants, cas après cas, du banditisme social des employeurs.

Au point que parfois, il est enviable de siéger en formation de conciliation ou de référé (un conseiller salarié et un conseiller employeur) plutôt qu'en formation à quatre conseillers dans laquelle, en audience et en délibéré, on effectue un voyage très solitaire contre les trois autres conseillers…

Toutes les attaques contre la justice du travail (évoquées plus haut) ne prennent pas source seule dans l'idéologie ultralibérale. Plus exactement, les rédacteurs des contre réformes se sont énormément inspirés des mauvaises pratiques dans des conseils de prud'hommes et de ce que des conseillers salariés - les conseillers employeurs s'en fichent - n'y font plus respecter.

Justice du travail, droit bourgeois ! Certes. Mais le droit du travail porte aussi les fruits des rapports sociaux de l'histoire. Certains à l'avantage des salariés, d'autres pour les employeurs. Les principes fondamentaux et les moyens des tribunaux de prud'hommes sont ces fruits en terrain hostile et aride puisque capitaliste.

Par exemple, dans la ligne de mire des réactionnaires se trouve le bureau de conciliation. Les conseillers y disposent de moyens importants pour instruire l'affaire, la mettre en état et dire le droit. Pourtant il est devenu une annexe de greffes où les parties viennent chercher une date d'audience de bureau de jugement.

La comparution personnelle, principe fondamental - mettant le salarié et l'employeur à égalité face aux magistrats - assortie de la représentation, de l'assistance et du pouvoir de concilier sont des éléments piétinés en l'absence de vérification par les conseillers du motif légitime d'absence, de l'identité et qualité du représentant de l'employeur et de son mandat.

L'oralité des débats, autre principe fondamental, permettant au salarié de se présenter seul ou assisté quelque soit son niveau d'éducation et ses moyens financiers, est battu en brèche. Les avocats ayant investi largement l'assistance, ces petits auxiliaires de justice parlent en lieu et place des salariés souvent absents des audiences et s'empressent de faire parapher leurs conclusions par le greffe pour les rendre valablement plaidées avant l'ouverture des débats. Et cela, sous le regard de conseillers passifs. D'autres exemples, trop longs à décrire ici mais sur lesquels nous pourrions revenir dans ces colonnes, illustrent les manquements aux obligations des conseillers mettant en danger la justice du travail.

Cela implique bien sûr des questions : quel type de syndicalistes sont présentés aux élections prud'homales par leur organisation ? Quels liens avec leurs structures locales (Unions départementales) et leur section d'entreprise d'origine ? Quelle formation (et quel contenu) sur l'activité spécifique mise en œuvre par les organisations syndicales ? Les syndicalistes investis suivent-ils ces formations ou se complaisent-ils dans la reproduction de pratiques bonnes mais plus souvent mauvaises ? Formation de masse ou élitiste ? Syndicaliste du droit du travail ou professionnel du droit ? Quelle capacité et temps disponible pour mettre en œuvre une vie de groupes syndicaux dans les sections du conseil ?

Loin de vouloir donner des leçons, ces réflexions émanent des réalités constatées. Des réalités humaines ; de la bonne ou mauvaise santé des structures syndicales locales ; des ambitions adoptées en réunions confédérales et des mises en actes en terme d'équipement de la pensée pour l'action des militants investis en prud'hommie ; de l'incapacité de mobilisation syndicale d'envergure pour défendre cette justice du travail.

Le paritarisme de cette justice du travail plombe-t-il les droits des travailleurs ? Des juges professionnels seraient-ils meilleurs ? Oui, peut-être si on observe la justice du travail en Allemagne. Non, certainement pas si on observe la justice du travail au Portugal.

Anarchiste et conseiller prud'homme

Un paradoxe qui n'en est pas tout à fait un si l'anarchiste en question est militant de l'action syndicale. Dans son rôle de conseiller prud'homme, il lui faut se rappeler d'où il vient et ce qu'il doit défendre, tout comme n'importe quel militant syndicaliste respectable. Le postulat à tenir à l'ouverture de l'audience et dans le délibéré est le suivant : « Le salarié a toujours raison, après on voit comment l'établir… ». Après tout, il y a tout de même 70 % des salariés qui voient leurs droits rétablis à l'issue de longues procédures.

Sur la question de l'apport d'influence libertaire particulière dans l'activité prud'homale, le cadre étroit de la justice « bourgeoise » ne semble pas permettre cet apport. Par contre, plus pertinent, l'exercice de cette justice peut être bonne école et une source de réflexions pour des militants libertaires. Cela, d'une part, en terme de propositions de « justice » en société libertaire, et d'autre part, en terme de propositions expérimentales au sein d'organisation anarchiste, véritables laboratoires sociaux et « éducationnistes ». Pour mieux parfaire le « comment » les fédérés s'y font justice de façon plus brillante qu'en société capitaliste ou qu'en organisation politique autoritaire.

Source : http://www.monde-libertaire.fr/syndicalisme/1...