lundi 5 décembre 2011 à 19h
Projection débat
Ici on noie les Algériens- 17 Octobre 1961
https://paris.demosphere.net/rv/19402
Documentaire de Yasmina Adi - 1h30
séance suivie d'un débat avec la réalisatrice
Lien : https://paris.demosphere.net/rv/19402
Source : http://cinemasaintmichel.free.fr/horaires/fil...
Ici on noie les Algériens- 17 Octobre 1961
Synopsis
La répression de la manifestation du 17 octobre 1961 et des semaines qui ont suivi fait partie des pages sombres de l'Histoire de France. Passée sous silence depuis 50 ans, l'affaire reste aujourd'hui encore polémique.
A l'appel du Front de libération nationale (F.L.N.), des milliers d'Algériens venus de Paris et de toute la région parisienne, défilent, le 17 octobre 1961, contre le couvre-feu qui leur est imposé. Cette manifestation pacifique sera très sévèrement réprimée par les forces de l'ordre.
Mêlant témoignages et archives inédites (radios, photos, télé, rapports officiels), histoire et mémoire, passé et présent, le film retrace les différentes étapes de ces événements. Plus qu'une flambée de violence aveugle, c'est bien une méthode mise en place au plus haut niveau de l'Etat qui est mise en lumière.
NOTE D'INTENTION DE LA REALISATRICE
C'est en 2007 que l'idée de ce film m'est apparue, lors de la préparation de mon précédent documentaire " L'autre 8 mai 1945 - Aux origines de la guerre d'Algérie ". Ce film rappelait qu'en Algérie, lors du défilé célébrant la victoire contre l'Allemagne nazie, les Algériens avaient revendiqué leur indépendance. Ils subiront une répression qui fera des milliers de victimes.
Lors des projections de ce film en France et à l'étranger, le public faisait naturellement le lien entre ces événements et ceux d'une autre répression oubliée, celle de la manifestation d'Algériens à Paris le 17 octobre 1961. Les questions fusaient : comment cette violence avait-elle pu avoir lieu en métropole ? Pourquoi a-t-elle pu être aussi facilement passée sous silence? Combien a-t-elle fait de victimes ?… Le public cherchait des réponses. Parfois victime de connaissances approximatives, il confondait souvent cet événement avec la manifestation française anti-OAS du 8 février 1962 (manifestation de Charonne).
Cette méconnaissance s'explique aisément. Absente des manuels scolaires, cette histoire est tout d'abord étouffée, puis simplement ignorée pendant de nombreuses années. De plus, la bataille des chiffres que se livrent les historiens sur le nombre de victimes n'a fait que brouiller les cartes et jeter le trouble sur ce qui s'est réellement passé.
Au cours de ce travail préparatoire, j'ai pu obtenir toutes les dérogations nécessaires pour consulter les archives (de la Préfecture de police pour les Archives de la police, des Archives nationales pour les archives du gouvernement, etc.).
Ce travail de recherche m'a permis de trouver une matière exceptionnelle. De très nombreux documents inédits (rapports, films, photos…) permettent d'apporter un nouvel éclairage sur ces évènements. Mon but n'était pas de réaliser un documentaire historique classique.
J'ai eu envie de faire ce film pour que la vérité remplace les non-dits et de souligner la dimension humaine de cet épisode trop longtemps tu. De faire émerger les paroles de certains acteurs de l'époque et de mettre le spectateur en immersion, en utilisant tout au long du film les deux médias les plus consultés à l'époque par les Français, la radio et la presse écrite.
ENTRETIEN AVEC YASMINA ADI
Pourquoi avoir choisi un tel sujet ?
Lors du travail d'enquête sur mon précédent film " L'autre 8 mai 1945 - Aux origines de la guerre d'Algérie ", j'avais noté que la fin de la répression en Algérie en 1945 avait été dirigée par le préfet Papon. Le même qui dirigera la Préfecture de Paris une quinzaine d'années plus tard.
D'autre part, lors des projections de ce film, le public avait spontanément évoqué la répression du 17 octobre 1961. Lorsque ces événements n'étaient pas confondus avec ceux de la station de métro Charonne ( qui ont eu lieu en février 1962), ils suscitaient beaucoup de questions : comment une telle répression avait- elle pu avoir lieu en plein cœur de Paris ? Pourquoi une telle violence ? Combien avait-elle fait de victimes ?…
Cinquante ans après, il m'apparaissait important de faire la lumière sur ces événements et de les faire connaître au grand public.
Entre l'idée et la sortie du film, que représente la concrétisation d'un tel projet ?
Ce film représente deux ans de travail. Bien avant le tournage, cela passe par un long travail d'enquête qui implique la recherche d'archives et de rapports officiels, la recherche des témoins, des articles de presse ainsi que des archives filmées et radiophoniques…
Toutes ces informations ont ensuite été recoupées pour respecter au mieux la vérité historique et démêler la trame de ces événements.
Comment s'est passée la recherche d'archives lors de votre enquête ?
J'ai, dès le départ, voulu m'appuyer sur les rapports officiels mais aussi rechercher des documents inédits, dont certains dormaient dans des cartons depuis 1961.
Après avoir contacté les responsables et obtenu les dérogations, j'ai consulté les archives de la préfecture de police, du gouvernement, des départements, etc.
D'autre part, contrairement à ce qu'on pourrait croire, les médias de l'époque ont largement parlé de ces événements et de leurs conséquences.
J'ai donc épluché les journaux mais aussi les actualités radiophoniques de l'époque, les deux médias les plus influents dans les années 60. Cette recherche d'archives sonores a nécessité un véritable travail de fourmi…
Enfin, j'ai largement sollicité les agences photos et découvert de nombreux clichés inédits. Je suis allée consulter sur place les négatifs (toutes ces photos n'étant pas numérisées), et j'ai rencontré certains photographes pour en savoir plus sur les conditions dans lesquelles ils avaient travaillé.
Que vous a apporté la coproduction avec l'INA ?
Le travail avec l'INA a été capital. L'équipe mise en place par le coproducteur Gérald Collas, dès la préparation, a démontré un savoir-faire et une implication, qui se sont révélés être d'incroyables atouts. Graphistes, photographes et documentalistes m'ont grandement aidée tant pour la recherche des archives que pour leur restauration.
Comment avez-vous réussi à retrouver des témoins de ces événements ?
En collaborant avec les associations, les mairies, en passant des appels à témoins et par le bouche à oreille, nous avons réussi à retrouver des témoins de moments clés liés à cette répression. Cette recherche n'a pas été facile et a parfois eu des conséquences surprenantes, comme ces messages anonymes de policiers mi-inquiets mi-menaçants qui voulaient savoir ce qui allait être dit dans mon documentaire…Parmi les témoins algériens, peu d'entre eux avaient jusqu'alors évoqué cette histoire.
Tout ce qui entoure la guerre d'indépendance reste souvent tabou au sein de la communauté algérienne. Certains (dont la plupart sont toujours en France) n'en avaient jamais parlé, même pas à leurs enfants, qui ont découvert la vérité lors de mon enquête ou lors du tournage. Sortir de l'anonymat, faire le récit de ces événements devant une caméra, sur les lieux où ils se sont déroulés, leur a demandé beaucoup de courage. Ces témoignages sont autant de moments très riches en émotion.
Pensez-vous avoir une approche différente de l'histoire en tant que cinéaste femme ? Cela a-t-il permis de créer un rapport privilégié avec les femmes et mères qui témoignent dans le film ?
En tant que femme d'origine algérienne, le dialogue avec ces témoins s'est instauré naturellement, comme on parle avec une tante, une cousine…
Ce rapport naturel et cette confiance mutuelle leur ont permis de se livrer devant la caméra, de témoigner de leur histoire sans tabou, des récits longtemps tus, touchant parfois à l'intime. Par mon approche et ma sensibilité, j'ai toujours accordé beaucoup d'importance à "l'aspect humain" de l'Histoire.
Enfin, en tant que femme, il est évident que j'ai été profondément touchée par le destin de ces
"mères courage", qui ont dû faire face à la perte ou la disparition de leur mari, de leur(s) frère(s), qui ont dû subvenir aux besoins de leur famille, tout en continuant à rechercher leur(s) disparu(s)…
En tant qu'actrices des manifestations ou victimes de la répression, elles sont aujourd'hui porteuses du récit de ces événements oubliés des livres d'Histoire.
Le spectateur est amené à être actif dans votre récit. Peut-on parler d'une démarche volontaire ?
Plus qu'un documentaire historique classique porté par une voix off, j'ai voulu que le spectateur vive cette période quasiment en direct, l'amener à être " actif "… Et à mesure que mon travail d'enquête avançait, la solution s'est imposée, comme une évidence. J'allais plonger le public dans le bain médiatique de l'époque à travers les coupures de presse et les archives radiophoniques, et confronter cette " version officielle " aux images inédites de cette répression, à la parole des témoins et aux échanges entre les policiers sur place et la salle de commandement de la préfecture. Une salle de commandement qui évoque incroyablement un décor " à la Kubrick ".
Pouvez-vous nous en dire plus sur cette dichotomie entre la violence des témoignages, des faits décrits et la sobriété du traitement médiatique ?
D'un côté, les éditions des journaux des principales radios (RTL, Europe 1,ParisInter…) traitent quotidiennement de la répression et de ses conséquences pendant près de deux mois. Ces archives servent à dérouler la " version officielle " de ces événements.
De l'autre, les photos, les archives filmées souvent inédites, les témoignages et les communications depuis la salle de commandement de la préfecture donnent une autre lecture de cette répression.
C'est cette opposition qui amène le spectateur à réfléchir, à se faire sa propre opinion.
La sortie de ce film 50 ans après ces événements revêt un caractère particulier…
Lever le tabou sur cette histoire à l'occasion du 50e anniversaire a été une motivation supplémentaire. Un demi-siècle plus tard, il est temps de faire la lumière sur ces événements, de révéler la vérité sur cette page de l'Histoire et de la rendre accessible au grand public. C'est l'ambition de ce film, qui, je l'espère, saura susciter le débat.
DISTRIBUTEUR : SHELLAC DISTRIBUTION