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jeudi 23 juin 2011 à 20h30

Voyage dans les ghettos du gotha

Le rendez-vous mensuel cinematographico/littéraire proposé par l'excellente librairie pontoisienne Lettre et Merveilles et Utopia !

Le principe très simple : un ( e ) écrivain, romancier(ère), essayiste, auteur de BD nous fait partager un film de son choix.

Séance exceptionnelle le jeudi 23 juin à 20h30 à Utopia Pontoise

en présence de Monique Pinçon-Charlot, directrice de recherche au CNRS, et Michel Pinçon, tous les deux sociologues auteurs entre autres de « Les Ghettos du Gotha » et de « Le Président des Riches »


Film: Voyage dans les ghettos du gotha

Jean-Christophe ROSÉ - documentaire France 2009 1h45mn -

VOYAGE DANS LES GHETTOS DU GOTHA« Quand je me promène en France, je me sens propriétaire de la France. » Olivier de Rohan Chabot, président de l'association des Amis de Versailles

C'est un voyage tendre, drolatique et acide dans un pays étrange et au demeurant plus inaccessible que les confins du Ladakh ou que les derniers villages cannibales de Papouasie Nouvelle-Guinée : celui des gens bien nés dont la vie s'écoule doucement, entre garden parties dans des châteaux bretons, chasse à courre en forêt de Compiègne, sports d'hiver à Gstaad, et soirées mondaines que n'auraient pas renié, tout en les moquant, le baron de Charlus, héros décadent de Proust.

Alors que leurs collègues universitaires étudient généralement les groupes les plus précarisés, et les territoires d'exclusion, le couple de sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot et travaillent depuis bientôt vingt ans sur la haute bourgeoisie, sur les possédants, privilégiant non les nouvelles fortunes, mais ceux pour qui les mécanismes de pouvoir sont des habitus ancrés depuis de nombreuses générations. Tels les « établis » trostkistes des années 70, intellectuels qui avaient pris le bleu de chauffe pour s'intégrer dans le milieu ouvrier, nos deux sociologues ont su troquer quand il le faut le pull élimé de chercheur du CNRS pour le smoking ou la robe de soirée et se fondre dans le petit monde des cocktails du gotha.

Ils savent, grâce à leur politesse exquise, le respect des codes de ce monde et aussi un certain respect qui n'empêche pas l'analyse sociologique implacable, se faire accepter des vicomtes et autres marquis qui les invitent partout pour des enquêtes qui s'avèrent jubilatoires. La caméra discrète mais omni-présente de Jean-Christophe Rosé les a suivis dans leur enquête. Et il faut dire, même si ça gêne nos a priori anti-riches, que ces membres de la haute société sont très souvent sympathiques et pleins d'esprit. Ils savent parler littérature et art avec brio, cultivent leurs jardins et entretiennent avec leur personnel une camaraderie non feinte, affichent, contrairement aux adeptes sarkozystes du bling bling, une simplicité convaincante… tant qu'on oublie les 300 ou 600 m2 - voire plus - dans lesquels ils vivent généralement. Nos sociologues s'interrogent parfois sur cette connivence ambiguë qui est née entre eux et leur sujet d'étude, se voyant parfois faux jetons face à des gens qui leur accordent leur confiance. Mais le documentaire et l'œuvre de Monique et Michel savent rappeler l'essentiel : le sentiment naturel, presque enfantin, de supériorité, ce que les sociologues appellent la stratégie de condescendance, à savoir cette technique qui consiste à afficher une fausse simplicité, pour imposer un respect du bon peuple qui crée encore plus de distance, un décalage total face à la vraie vie (notamment quand une des protagonistes dit que les femmes sont sorties de la « société » quand elles sont rentrées dans les bureaux, la société étant pour elle celle exclusivement des conversations mondaines) et surtout une facilité déconcertante à la reproduction sociale. On voit notamment une scène édifiante où une jeune aristocrate sarthoise décroche en quelques minutes le stage de ses rêves entre deux discussions avec entre autres Madame Fillon. Car derrière le kitsch amusant des situations, les sociologues démontrent le côté totalement dérisoire de la prétendue méritocratie, alors que les schémas de conservation de cette classe perdurent. Et surtout ils insistent sur le fait que, alors que le patrimoine symbolique de la classe ouvrière (ses industries, ses syndicats, ses partis naturels) s'est totalement délité, la classe dominante est finalement celle qui est la plus conquérante et combative.

Source : http://www.cinemas-utopia.org/saintouen/index...

Lien : https://paris.demosphere.net/rv/17665