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samedi 28 mai 2011 (heure non définie)

L'Hôpital sous pression:

enquête sur le « nouveau management public »

Samedi 28 mai 2011 à l'Hôtel de ville de Versailles, à 17h, salle Clément Ader, nous rencontrerons Nicolas Belorgey, sociologue, post doctorant au Centre Maurice Halbwachs (CNRS-EHESS-ENS) pour une conférence/débat autour de son ouvrage : l'Hôpital sous pression : enquête sur le « nouveau management public ». Ed. La découverte.

Le nouveau management public est un paradigme d'action publique, c'est-à-dire un ensemble d'idées et de pratiques que les pouvoirs publics tentent de mettre en œuvre dans les administrations et les services publics. Forgé aux Etats-Unis et au Royaume-Uni au cours des années 1980 et 1990, sous les administrations Reagan et Thatcher puis Clinton et Blair. Son inspiration originelle, son noyau dur, en font une sorte de néo taylorisme. Comme son ancêtre du début du XXe siècle, il s'intéresse au contrôle des agents producteurs, cherchant à accroître leur productivité et leur fixant à cette fin des objectifs quantifiés. Ses outils de motivation sont essentiellement financiers. Les problèmes sont reformulés en questions techniques, les aspects politiques étant réputés traités dans des instances extérieures comme le Parlement. Le nouveau management public (NMP) se présente comme une simple recherche d'efficacité, donc transposable dans n'importe quel contexte, au service de n'importe quelle fin. Ainsi il n'y a pas de différence entre les secteurs privé et public, et il serait donc temps d'importer dans le secteur public, qui serait si inefficace et irait si mal, les outils qui auraient fait la fortune du secteur privé. Les pouvoirs publics français ont aujourd'hui largement recours à des outils comme les indicateurs de « performance », benchmarking- c'est-à-dire comparaison entre entités productives, des simples agents aux grosses organisations, sur la base de ces indicateurs- « responsabilisation » des professionnels, incitations financières au rendement, recours à des consultants privés et à des agences spécialisées et présentées comme purement techniques, mise en cause des statuts de la fonction publique, bref dédifférenciation globale entre les secteurs public et privé. Ceci pour une recherche d'efficacité et par souci d'économiser les deniers publics. Autrement dit de réduire les coûts à prestations égales ou d'accroître les prestations à budget égal. Ce phénomène culmine dans une réforme des finances publiques, amorcée par la loi organique sur les lois de finances (LOLF, 2001) et poursuivie par la révision générale des politiques publiques (RGPP, 2007). Ce phénomène se décline à présent dans un nombre croissant de secteurs : santé, politiques, sociales, éducation, recherche, justice, police, défense, immigration, audiovisuel, etc.

Ainsi, l'avenir qui est promis aux services publics est l'un des symboles les plus édifiants des risques qu'il y a à confier au marché la quasi-totalité de l'activité économique. Il faut entendre par services publics, toutes les activités qui concourent à la cohésion nationale. Or aujourd'hui les services publics sont transformés en marchandise. On discrédite les monopoles publics, raille l'inefficacité de l'intervention de l'Etat et encense à l'inverse les vertus du marché concurrentiel et du secteur privé et cela depuis plus d'une vingtaine d'années.

Les groupes financiers réussissent au final le plus colossal transfert de richesses de la sphère publique vers les intérêts privés.

Trois réformes hospitalières récentes se mettent progressivement en place à partir des années 1980, avec des conséquences importantes sur le financement des hôpitaux. La première, le « Programme de médicalisation des systèmes d'information » (PMSI), qui voit le jour officiellement en 1982, semble surtout porter ce nom en réaction à la dénonciation par les médecins de la « logique comptable » que les pouvoirs publics entendraient leur imposer par son biais. En fait ce programme pose les bases d'une comptabilité analytique hospitalière, son nom met en avant la « médicalisation » des systèmes d'information, c'est-à-dire d'une comptabilité plutôt que la « comptabilisation » d'actes médicaux, alors qu'il s'agit en fait de la même chose. Le PMSI peut ainsi être analysé comme un moyen pour les pouvoirs publics de supprimer l'asymétrie d'information dont bénéficient initialement par rapport à eux les soignants, seuls à connaître le détail de leur travail, et pouvant en tirer parti pour obtenir des financements exagérés. De fait, le PMSI permet de rendre compte de la production hospitalière, à l'aide d'un outil utilisé aux Etats-Unis. Le PMSI se présente comme un grand progrès, rapprochant les indicateurs de gestion de la réalité médicale. Il convertit tous les actes médicaux en une unité de valeur commune, le « point ISA » (indice synthétique d'activité). Par exemple un accouchement vaut 1000 points ISA, tandis qu'une appendicectomie en vaut 1139. En multipliant ces valeurs en points ISA par le nombre d'actes recensés dans chacun des « groupes homogènes de malades » (GHM) ainsi définis on obtient l'ISA d'une entité productive : service, établissement ou région. Cet indice est ensuite valorisé en le rapportant au budget de l'entité en question et des comparaisons de productivité peuvent être établies.

La seconde réforme constitue un prolongement du PMSI. Il s'agit d'une « tarification à l'activité »(T2A), mise en place à partir de 2005. Alors qu'auparavant le budget d'un hôpital dépendait de celui de l'année précédente, désormais une partie croissante de ses ressources est fonction de son « activité » estimée par son nombre de points ISA. De plus, alors que les pouvoirs publics couvraient a posteriori certaines dépenses imprévues, cet instrument de régulation se met en place en même temps qu'un changement de politique en la matière, de sorte qu'un nombre croissant d'établissements hospitaliers se retrouvent en déficit. Ce système met en place un financement de l'hôpital en fonction du coût non plus réel mais supposé du séjour, déterminé par une Enquête nationale des coûts (ENC), effectuée sur un échantillon d'établissements dits représentatifs. Ce système incite les producteurs de soins à une plus grande productivité, au risque d'une baisse de leur qualité ou de la sélection des malades au détriment des plus atypiques et des plus coûteux à traiter d'entre eux.

Si PMSI et T2A mettent en place des incitations, ils ne garantissent pas pour autant un niveau de budget, même pour une « activité » donnée. Ils ne sont que des outils de répartitions des crédits. Le montant global de ceux-ci est déterminé par la troisième grande réforme financière, l'introduction par les ordonnances de 1996 d'un Objectif national d'évolution des dépenses d'assurance maladie (ONDAM). Voté annuellement par le parlement dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS), il permet de calculer une « enveloppe globale », elle-même répartie en plusieurs sous-enveloppes, dont une pour les hôpitaux.

Initialement purement déclaratif, l'ONDAM est devenu de plus en plus coercitif.

Des réformes ? Il existe un sens du mot « réforme » qui désigne une entreprise promue par une certaine coalition d'intérêts et visant à modifier en sa faveur l'ordre des choses existant, sans se prononcer « a priori » sur le caractère de ce changement. Dans ce sens, les réformateurs deviennent des « entrepreneurs de morale », autrement dit, ils tentent d'imposer certaines normes juridiques ou morales afin d'influencer les comportements. C'est bien ce qui se passe dans le domaine hospitalier : les réformes managériales s'incarnent dans des textes juridiques contraignants, dans des outils de gestion qui, comme la T2A, influencent les manières de soigner via leur mode de financement. Les changements sont présentés comme de pure gestion, autrement dit destinés à réduire les gaspillages, à maximiser les résultats étant donné les ressources disponibles. Or, il existe dans les hôpitaux déjà une activité de gestion, consubstantielle à toute activité. Par exemple, le médecin choisit entre deux patients, lequel doit être traité en priorité ; Le directeur gère au quotidien les emplois ou les finances de son établissement. Il faut distinguer trois choses : la gestion quotidienne dans les hôpitaux, les réformes de ces modes de gestion au quotidien, enfin les réformes actuelles, qui sont une modalité particulière des précédentes. La confusion que drainent avec elles ces réformes est de prétendre introduire la gestion, alors que celles-ci a toujours existé, même si c'était sous d'autres formes. Les réformes managériales sont un objet plus vaste que des simples instruments, outils ou dispositifs de gestion. Elles impliquent aussi pour les soignants des façons d'agir, de penser et de sentir. Tout se passe comme si on avait d'un côté des analyses des mesures prises par les pouvoirs publics, de l'autre l'analyse des professions de santé, et que les deux analyses étaient largement disjointes. Les réformes dans les hôpitaux aujourd'hui peuvent être autres que managériale. Les services peuvent être améliorés aussi du point de vue soignant. Nicolas BELORGEY montre dans son ouvrage qu'une réforme passe non seulement par les dispositions phares par exemple la T2A, mais aussi par ce que les gens en font.


La prochaine rencontre à l'Hôtel de ville de Versailles sera le samedi 18 juin 2011 à 17h salle Montgolfier, avec le groupe d'Amnistie International de Versailles autour du droit d'asile et des travailleurs sans papiers.

Le 10 juin 2011 au Roxane à Versailles à 20h30 Culture et Cinéma propose une projection/débat du film documentaire écrit et réalisé par Luc Joulé et Sébastien Jousse « Cheminots », sur l'éclatement de la SNCF et la question du sens du travail tant pour l'individu que pour le collectif.

Ensuite, nous nous retrouverons après l'été, à l'Hôtel de ville de Versailles le 17 septembre 2011, salle Clément Ader à 17h, autour du livre « La République de Moldavie » avec Matei Cazacu et Nicolas Trifon. Ed Non Lieu.

Le 15 octobre 2011 rencontre avec Sam Braun et Stéphane Guinoiseau autour du livre « Personne ne m'aurait cru, alors je me suis tu » Ed. Albin Michel.

A bientôt, Amicalement.

Evelyne LEVEQUE. Correspondante des Amis du Monde diplomatique.
Courriel eveleveque@wanadoo.fr ou Tél 06 07 54 77 35

Source : http://www.amis.monde-diplomatique.fr/article...

Lien : https://paris.demosphere.net/rv/17243