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samedi 23 octobre 2010 à 17h

Les journaux peuvent-ils survivre en tant qu'activité lucrative ?

Nous recevrons samedi 23 octobre 2010 à la mairie de Versailles à 17 h, salle Clément Ader, l'éditeur américain André Schiffrin qui a été pendant vingt ans à la tête de Pantheon Books, prestigieuse maison d'édition littéraire aux Etats-Unis. Il dirige depuis 1991 The New Press, maison indépendante à but non lucratif. Il viendra nous présenter son dernier ouvrage « L'argent et les mots » Ed. La fabrique.

Les journaux peuvent-ils survivre en tant qu'activité lucrative ?

Sommes-nous à la fin d'une ère qui a commencé au XVIIIe siècle ? Aux Etats-Unis et en France, il ne fait aucun doute que le lectorat des journaux a plongé en même temps que leurs recettes publicitaires. La situation est plus dramatique aux Etats-Unis qu'en France. En 2008, les pertes d'emploi dans les journaux américains ont atteint le chiffre incroyable de 16000 et on en compte 10000 de plus dans la première moitié de 2009. Cette situation critique de la presse américaine est le résultat d'un processus qui évolue depuis des années. La situation en France n'est guère meilleure : les ventes et les recettes publicitaires ont plongé de façon spectaculaire. De plus le nombre de jeunes lecteurs diminue régulièrement : en 1967, 59 % des jeunes de plus de 15 ans lisaient un journal tandis qu'en 2005 ils ne sont plus que 34 %, phénomène que l'on retrouve dans la plupart des pays occidentaux. Les difficultés de la presse écrite en Europe de l'Ouest et aux Etats-Unis ne datent pas d'hier et leurs causes ne se limitent pas à la concurrence d'Internet. Ce qui est étonnant, c'est que ce déclin progressif n'ait pas suscité d'inquiétude plus tôt. Au contraire, jusqu'à une date récente, les financiers américains attendaient un retour de 26 % sur leur investissement dans la presse : on faisait maigrir les équipes et réduire la couverture éditoriale pour aboutir à cette rentabilité, sans penser que ces mesures allaient faire perdre des lecteurs. De plus, dans les années 1990, les propriétaires de journaux, ne se rendant pas compte qu'ils étaient au bord du précipice, se sont lancés dans de coûteuses acquisitions dans les médias et ce sont largement endettés. En Europe, l'exemple le plus spectaculaire d'acquisition imprudente est celui d'EL PAIS, dont les dettes sont évaluées à plus de 2 milliards d'euros après l'achat de chaînes de télévision espagnoles. L'une des conséquences des difficultés économique de la presse américaine et de la recherche du profit à tout prix est que le domaine étranger est moins bien couvert, avec moins de pages et moins de correspondants : leur nombre total est passé ces dernières années de 2500 à 250. Plusieurs journaux ont fermé leur dernier bureau à l'étranger. Ainsi le New York Times, le journal qui a le plus grand nombre de correspondants à l'étranger, a décidé de fermer son bureau de Paris qui couvrait les questions culturelles européennes. Dorénavant aux Etats-Unis, les chaînes de télévision ont décidé que les émissions d'information devaient être des centres de profit comme les autres et elles ont réduit leur couverture à l'étranger. Le résultat de ces coupes est apparu de façon spectaculaire lors de la guerre d'Irak, le gouvernement était d'autant plus à l'aise pour raconter des mensonges à la presse américaine qu'il y avait moins de reporters pour répercuter ce qui se disait dans les autres pays. La baisse du lectorat en Amérique est en partie liée à cet échec et à la désillusion qu'il a entraînée. De plus la presse dans son ensemble a été incapable de prévoir la crise économique actuelle. Certains économistes de renom pointait le danger mais les journalistes ne les écoutaient pas : l'idéologie de Milton Friedman -le marché ne peut pas se tromper- avait force de loi dans la presse comme dans les universités. Cet échec a lui aussi fait perdre à la presse bien des lecteurs déçus. Un cercle vicieux du même ordre est à l'œuvre en France, où les difficultés financières obligent les journaux à licencier de plus en plus de journalistes, ce qui conduit à réduire le nombre de pages et le niveau de l'information offerte. De plus, la connivence de la presse avec le pouvoir provoque une autocensure pour une information qui intéresserait les lecteurs. Par ailleurs il ne fait guère de doute qu'Internet est l'une des grandes causes du déclin des ventes de la presse écrite dans les pays occidentaux. Mais la question la plus importante n'est pas le support : c'est le contenu, le maintien du rôle de la presse qui est de collecter et de filtrer les informations, de les analyser, de juger de leur importance. C'est cette fonction qu'il importe de maintenir, quel que soit le support. Les générations actuelles ont été élevées avec l'idée fallacieuse que la publicité dans la presse, la télévision, et maintenant Internet garantit un contenu « libre ». La publicité, loin de garantir la liberté des contenus, est en fait un impôt privé que les consommateurs payent indirectement. Les dépenses publicitaires entrent au même titre que les coûts de fabrication dans la détermination des prix de n'importe quel produit. Nous payons pour la publicité chaque fois que nous achetons un produit, et nous couvrons ainsi indirectement les coûts de la persuasion exercée pour nous le vendre. En outre, la pression qu'exerce la publicité sur les médias pour leur faire augmenter sans cesse leur audience est responsable d'une dégradation de leur niveau. En France, les publicités à la télévision sont taxées pour aider l'industrie cinématographique. Il serait parfaitement logique de taxer les publicités sur Internet pour aider la presse. Google n'a pas contribué à l'invention d'Internet et ne participe pas à la collecte des informations qu'il utilise avec tant de succès. On ne voit pas pourquoi il continuerait à en profiter gratuitement. Sur quel support seront les informations dans l'avenir est un débat secondaire. Ce qui importe c'est que les journaux sur papier maintiennent leur rôle traditionnel de collecter l'information, de la filtrer, de l'analyser.

La mainmise de l'industrie de l'armement sur la presse et l'Edition

Les deux tiers de l'édition française et de la presse appartient à des grands groupes, que ce soit Hachette Lagardère ou que ce soit Dassaux qui sont à la base, des fabricants d'armement. Ce qui est inquiétant en France, c'est à quel point on accepte ça comme une donnée normale depuis très longtemps. C'est accepté comme normal que ces grands groupes qui n'ont qu'un client principal : l'Etat, ce sont leur PDG et leurs actionnaires qui contrôlent la presse et l'édition.

Capitalisme sauvage et information déficitaire.

On peut finir par dire que tout est là pour gagner de l'argent. Donc quel sera le contenu des livres et des journaux à l'avenir ? Aujourd'hui par exemple on peut dire qu'une grande maison d'édition ne pourrait plus publier Kafka. Trop peu d'exemplaires sortiraient pour la première édition.

  • La prochaine rencontre à la mairie de Versailles sera samedi 06 novembre à 17h salle Clément Ader avec Martial et Anne-Claude Van der Linden autour du livre de Peter J.Whitehouse « Le mythe de la maladie d'Alzheimer » Ed. Solal.
  • Le 04 décembre 2010 à la mairie de Versailles, nous rencontrerons Michel Marchand, autour du livre « Ne soyons pas des écologistes benêts » Coécrit avec Aurélien Bernier. Ed. Mille et Une Nuits.

Amicalement.

A bientôt.

Evelyne LEVEQUE. Correspondante des Amis du Monde diplomatique.
Courriel eveleveque@wanadoo.fr ou Tél 06.07.54.77.35

Source : http://www.amis.monde-diplomatique.fr/article...

Lien : https://paris.demosphere.net/rv/14405