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lundi 3 mai 2010 à 20h30

Bernard, ni dieu, ni chaussettes

Soirée unique sur le thème « Poésie anarchiste, vin rouge et bottes en caoutchouc » LUNDI 3 MAI À 20h30 à l'Utopia Saint Ouen suivie d'une rencontre avec le réalisateur Pascal Boucher. Avec des lectures des textes de Gaston Couté.


Bernard, ni dieu, ni chaussettes

Pascal BOUCHER - documentaire France 2009 1h24mn - avec Bernard Gainier...

BERNARD, ni dieu, ni chaussettes

Bernard, Ni Dieu, ni chaussettes nous permet de croire à plusieurs choses impossibles : qu'un drapeau noir au A cerclé, que l'on imagine plus facilement sur une barricade de Barcelone, ou au fronton d'un squat de Berlin, puisse flotter au cul d'un tracteur beauceron. Que l'on puisse (alors qu'on dit familièrement en Val de Loire, dixit une charmante copine chinonaise, d'un cellier vide qu'on se croirait en Beauce) voir de la vigne dans cette région. Et pour finir cet étonnant documentaire nous ferait croire, bien qu'athées convaincus, à la métempsychose tant Bernard Gainier, 74 ans, paysan retraité et énervé, semble être la réincarnation de Gaston Couté, poète paysan anarchiste de ce que l'on appela trop vite la Belle Époque, qui évoqua avec brio et en patois les trimardeux, les révoltés sans voix, les peineux. A la différence près que Bernard est toujours resté sur sa terre, alors que Gaston monta à la capitale gagner sa croûte avec sa poésie dans les cabarets anarchistes de Montmartre. A la différence près que, alors que Bernard est plutôt un gaillard septuagénaire, Gaston, miné par l'échec de « la propagande de fait », comme on appelait l'action directe qui eut son heure de gloire dans les années 1893 avec l'attentat de Vaillant qui jeta une bombe à l'Assemblée, et par la répression grandissante contre les anarchistes dans une France de plus en plus vouée au culte patriote dans les années 1910, finit abattu à 31 ans par la tuberculose et l'abus d'absinthe.

En tout cas Bernard, dans une région que l'on croit uniquement peuplée de riches céréaliers, qui font de l'agriculture derrière des tableaux OpenOffice ou au volant de gigantesques moissonneuses batteuses, c'est un sacré OVNI. Tout seul au volant de son tracteur brinquebalant, il n'est pas vraiment dans la surenchère mécanique. Il n'est pas pour autant un fervent militant de la Confédération Paysanne pour une agriculture écologiquement responsable. Son credo, c'est celui de son voisin ayant vécu au xvie siècle, François Rabelais, anar de la Renaissance : « Fais ce que voudras ». Bernard est bien passé brièvement par l'usine, il fabriquait les verres Duralex de nos cantines, mais il ne supportait pas les chefs. Ses devises sont : « Ni Dieu ni Maître » (ou plutôt ni Dieu ni chaussettes, référence aux pénufles, ces bandages russes qui lui servent de chaussettes, parce que plus protecteurs) ou « L'Ordre sans le Pouvoir ». Maintenant qu'il est à la retraite, il n'en continue pas moins à cultiver sa vigne dont il tire un vin rouge (parce que le blanc c'est pour les curés, et le champagne pour les bourgeois comme il dit) qu'il fait déguster à ses potes dans son bureau, une cave passablement sinistre, mais où on refait le monde. Mais surtout Bernard, qui apprécie peu la télé (il en a bien une qu'il cache sous un carton, qu'il relève de temps en temps pour voir les infos, mais il peste et l'éteint au bout de cinq minutes), a surtout une passion : faire vivre la parole de Gaston Couté, ce poète né à quelques kilomètres de chez lui. Et il le fait avec une telle opiniâtreté que la mairie pourtant très consensuelle de Meung-sur-Loire l'invite pour l'inauguration d'une exposition. Et un groupe de jeunes musiciens orléanais, le P'Tit Crème, a même mis en musique les poésies de Gaston lues par Bernard. Une vie bien remplie dont Bernard consigne les détails dans un agenda noir d'écritures.

Pascal Boucher, réalisateur trublion qui a grandi avec la bande de Zalea TV, la TV rebelle parisienne trop éphémère, est un enfant du pays, et ça se sent. Car au-delà du portrait infiniment drôle et tendre d'un personnage atypique, il sait par une mise en scène amoureuse de ces paysages de plaines, digne des tableaux de Poussin, faire défiler les saisons et les lumières en bord de Loire, alors que Bernard, va vers l'automne de sa vie. La vie d'un gars qui, comme dirait Gaston Couté, « a enfilé la mauvais' route, un gâs qu'a mal tourné », enfin pas tant que ça à y réfléchir…

Source : http://www.cinemas-utopia.org/saintouen/index...

Lien : https://paris.demosphere.net/rv/12620